Mathurin MBOUNOU-NGOPO
Docteur en Droit
Chargé d’enseignement à la faculté des sciences juridiques et politiques de l’université de Bangui
Inspecteur des impôts en République centrafricaine
La fiscalité et l’impératif de développement du Centrafrique
L’harmattan, coll. Finances publiques, 2019, 379 pages.
Dans la dimension historique de votre ouvrage vous montrez que l’impôt, en Centrafrique, a été un instrument budgétaire et de domination. Pouvez – vous expliciter cette idée ?
Dans le processus de la mise en œuvre de la stratégie coloniale, l’impôt a joué un rôle multiple. Il a été un facteur déterminant de la politique budgétaire, administrative, économique et moralisatrice voulue par le colonisateur qui lui avait fixé des objectifs précis. Il fallait d’abord pourvoir aux budgets locaux afin d’assurer le financement local des dépenses de fonctionnement et d’équipement de la colonie. L’impôt devrait ensuite favoriser la monétarisation de l’économie coloniale. Il convient de rappeler que le but poursuivi est de moderniser l’économie indigène de l’Oubangui-Chari. L’impôt constitua enfin l’un des vecteurs de cette politique de mise en valeur élaborée dans le but de procurer aux peuples les bienfaits de la civilisation en leur inculquant l’idée de l’utilité du travail. L’on nota que le niveau de mobilisation des recettes fiscales constituait le baromètre par excellence de l’efficacité d’une autorité coloniale ou de la soumission d’une autorité traditionnelle et de ses sujets. Par ailleurs, l’impôt poursuivit entre un but religieux. C’est ainsi que les ménages polygamiques et les célibataires étaient lourdement imposés au profit des ménages monogamiques encouragés par le colonisateur. De ce fait, l’impôt a joué un rôle dans le processus complet d’acculturation fondé sur le principe que la civilisation occidentale est supérieure. C’est à cette fin que l’impôt a été à la fois un instrument budgétaire et de domination.
Vous montrez que les administrations fiscale et douanière ont une démarche de recherche de la performance qui n’est pas pleinement aboutie. Que faudrait-il faire pour améliorer les choses ?
Les déficiences des administrations fiscale et douanière centrafricaines contribuent aux pertes des recettes par l’érosion des bases taxables ainsi que l’évasion fiscale et favorisent le niveau élevé de corruption. Cependant, l’amélioration de la performance va au-delà d’une simple question de recettes. C’est aussi la problématique de la modernisation de l’administration financière qui est posée. Pour ce faire, plusieurs actions sont à préconiser afin d’améliorer la performance. Le premier axe consiste à lutter efficacement contre la corruption en formulant des mesures pour renforcer l’éthique et l’intégrité afin d’améliorer le degré du civisme fiscal. A cet effet, le renforcement des structures administratives de contrôle doit être une priorité. Le deuxième axe vise à intégrer le principe de redevabilité en privilégiant la logique du compte rendu des actions menées et de leur évaluation. Ce qui induit la mise en place des indicateurs de gestion afin de mesurer les efforts de mobilisation des ressources fiscales. En dernier axe, l’Etat centrafricain doit doter les administrations fiscale et douanière des outils modernes en innovation technologique dans le domaine de la gestion fiscale.
Vous considérez que la mobilisation des recettes fiscales est une des conditions du développement en Centrafrique et vous démontrez aussi que l’impôt doit être articulé avec d’autres instruments. Pouvez vous précisez comment les instruments fiscaux trouvent leur place dans une politique économique et sociale ?
En Centrafrique, les questions liées au développement économique ne peuvent être réglées de façon isolée, sans l’implication de la fiscalité. Car, les instruments fiscaux agissent de trois manières sur la politique économique et sociale. D’abord, l’impôt a un effet de relance de l’activité économique lorsqu’il a une action positive sur les revenus. Avec des taux d’imposition moins élevés, l’impôt favorise les activités économiques. Ensuite, l’impôt a un effet de restriction de l’activité économique lorsqu’il présente des taux élevés d’imposition. Enfin, il est reconnu à l’impôt a des effets redistributifs. Ces trois fonctions entraine des incidences sur les agents économiques. Leur implication permet de prendre des mesures liées à l’adéquation entre le potentiel fiscal et les priorités de la politique économique et sociale. Pour ce faire, trois critères permettent de conforter le flux de ressources fiscales : la rentabilité, la flexibilité et la stabilité, entre lesquels les pouvoirs publics doivent effectuer des arbitrages.
Vous défendez l’idée que les pouvoirs publics doivent mettre en pratique une politique fiscale proactive. Vous serait-il possible d’expliquer cette proposition ?
La situation des recettes publiques en Centrafrique s’explique essentiellement par l’étroitesse de la base fiscale, quels que soient le type d’impôt, et les faiblesses des administrations fiscale et douanière. Les besoins en financement sont tels que le Centrafrique n’est pas en mesure d’y répondre. Il lui faudra mobiliser suffisamment les ressources fiscales pour répondre aux défis du développement économique et social. Pour y parvenir, la politique fiscale exige d’une part, une réflexion en amont dans une vision claire et prise. Ensuite, elle nécessite une prise de décision stratégique en aval pour atteindre ces buts. Cette mise en mouvement nécessite une certaine anticipation sur la gestion du risque. C’est la faculté d’agir avec dynamisme qui implique d’orienter les efforts sur la qualité des obligations déclaratives. C’est en cela qu’il doit mettre en œuvre une politique fiscale proactive.