Revue européenne et internationale de droit fiscal

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jean luc albert

Jean-Luc ALBERT

Professeur des universités

Aix-Marseille Université

Pour qui aurait la curiosité de se reporter au Journal Officiel du 29 décembre 2019, il noterait avec intérêt les prévisions financières et fiscales de la loi de finances pour 2020. La même démarche pourrait être opérée avec le Journal officiel du 27 décembre 2019 qui publie la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020.

Mais si l’on voulait avoir une vision plus globale des stratégies financières, voire réformatrices de l’actuelle majorité, alors la loi de programmation des finances publiques pour 2018-2022 offre une lecture pluriannuelle des plus optimistes (JO du 23 janvier 2018). Globalement, ces trois textes s’inscrivent dans l’objectif constitutionnel et européen de maitrise des comptes publics et de réduction des déficits publics.

Après la crise de 2008/2009, la tendance générale était, pour une fois, à essayer de respecter les engagements pris sur le plan européen, tout en notant l’extrême-difficulté pour les gouvernements successifs à maitriser voire réduire le solde structurel imposé par le Traité relatif à la solidarité, la coopération et la gouvernance (TSCG) de 2012, intégré en droit français par la loi organique de 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques.

Que reste-t-il à présent de ces beaux engagements ? Rien.

La crise de la Covid19 a fait voler en éclat toutes ces perspectives « raisonnables » alors même que, en quelques mois, toutes les thèses défendues par les gouvernants ont implosé, nos dirigeants affirmant aujourd’hui des conceptions interventionnistes qu’ils rejetaient il y a peu.

La loi de finances pour 2020 a déjà donné lieu à trois lois de finances rectificatives (lois du 23 mars, 25 avril, 30 juillet), tandis que la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 qui annonçait un quasi équilibre des comptes des administrations de sécurité sociale n’a pas survécu sur ce terrain, même si aucune loi de financement rectificative n’a été adoptée, ce qui est sans doute le constat de la faiblesse des règles et principes inhérents à ce type de texte financier.

La dette publique était de près de 97% du PIB en 2019 ; elle se situerait à environ 117-120% en 2020.

Or, sur la même période plusieurs lois de programmations à vocation « dépensière » ont été adoptées, en matière militaire, d’environnement, de sécurité, de justice, et en ce moment, de façon très controversée, en matière de recherche. Des engagements multiples ont été pris à la suite de la crise des gilets jaunes, au cours de la période actuelle ; le projet porté par Emmanuel Macron amenait aussi à la suppression de la taxe d’habitation ; c’est à présent la fiscalité sur la « production » qui parait être en première ligne pour une réduction du poids fiscal pesant sur les acteurs économiques…

Longtemps, le discours justificatif de telles mesures et orientations aura reposé sur un équilibre financier maintenu grâce aux réductions de la dépense publique, à une rationalité gestionnaire fondée sur de nouveaux principes accentuée par le développement des « nouveaux outils technologiques » et plus globalement sur la réforme administrative. Encore plus paradoxale fut l’annonce des gouvernements selon laquelle la lutte contre les fraudes devenait un instrument d’équilibre budgétaire par des prévisions particulièrement optimistes sur les recettes recouvrées (avec quelques différences entre l’annonce et l’effectivité de ces recettes).

Si une partie du discours réformateur est toujours là, l’urgence mise en avant et légitimée par le Conseil constitutionnel au travers d’un concept nouveau et sans fondement juridique, celui des « circonstances particulières », a conduit à libérer les « cordons » d’une bourse bien vide.

Qu’on en juge : le déficit financier était déjà estimé à 109 milliards d’euros pour l’Etat avec la loi du 23 mars, puis de 185,5 avec celle du 25 avril, et enfin, de 225,1 au travers de la loi du 30 juillet 2020, et ce n’est pas fini ; quant au déficit de la sécurité sociale, il passait déjà à 41 milliards d’euros en avril, puis 52,2 en juin 2020, …

Qui s’en soucie et qui se préoccupe des rôles respectifs de l’Etat et de la Sécurité sociale ?

Entre la prise en charge d’une partie essentielle de la vie économique, du chômage partiel, de l’aide aux entreprises, des tests, des équipements hospitaliers, la garantie d’une amélioration des revenus des personnels de santé, mais aussi d’un plan de relance incertain, ou encore le soutien à tous les secteurs dits en difficulté, ou même une abondance de primes diverses, l’augmentation de l’allocation de rentrée scolaire, jusqu’ à la subvention à la réparation de tout vélo à hauteur de 50 euros par vélo réparé, etc., la situation présente va bien au-delà de ce qui fut initié et engagé en 2008-2009 en termes de dépenses publiques, jusques et y compris à demander aux collectivités locales d’apporter leur soutien à la relance économique, tout en suspendant les dispositions de la loi de programmation des finances publiques s’agissant de la maitrise contractuelle de la dépense publique locale.

Mais à côté de cela, quelles recettes ?

Certes, l’Etat a pu en appeler aux habituelles recettes de « poche » et à diverses pratiques bien usitées comme le paiement de contributions exceptionnelles à certains organismes sous contrôle de l’Etat, la volonté d’imposer aux assurances complémentaires une telle contribution, ou encore à puiser dans des fonds de roulement d’organismes publics,… ou même à donner à la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) un destin nouveau en prolongeant sa durée de vie jusqu’en 2033 (alors qu’elle devait cesser en 2024), contrairement aux engagements pris par les gouvernements successifs.

Il suffit de demander pour recevoir, sans fin et presque sans limite.

Mais quelles recettes aligne-t-on en face ou à côté ? Aucune !

Le Président de la République a pu énoncer qu’il n’y aurait pas d’augmentation des impôts ; telle serait officiellement la situation. Un seul instrument devient alors incontournable, l’emprunt. Il se lève si facilement et avec des taux d’intérêt si bas !

Puisque l’on se désintéresse totalement de la recette, on peut alors revenir aux errements habituels et penser être revenu à des temps normaux en envisageant de nouvelles dépenses…

Cette fuite en avant n’intègre même pas le fait que, en temps exceptionnel, une solidarité fiscale exceptionnelle pourrait être initiée. De fait, l’Etat jongle chaque année avec la TVA et la CSG sans grande perspective et sans cohérence et tente de jouer avec les fonds de roulement de différents organismes.

On pense autonomiser les dépenses liées à la covid19 au travers d’un fonds spécifique doté de recettes affectées, mais lesquelles ? On voudrait enlever la dette liée à la covid19 de la dette publique au sens « maastrichien »). On initie un plan de relance européen en partie financé par l’emprunt alors même qu’il existe déjà une institution qui a en charge ce type d’action, à savoir la Banque européenne d’investissement, et l’on rêve d’une Banque centrale européenne qui rachetant la dette publique viendrait résoudre une partie des questionnements actuels, jusqu’à un jour voir supprimer cette dette par un « trait de plume » !

Bref, si l’on devait être un (haut) fonctionnaire de la Directeur du Trésor, de la direction du Budget, la formule « Quoi qu’il en coûte ! » aurait sans doute bien du mal à passer !!

Il est donc bien difficile de préparer les projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2021 : tailler dans quelques dépenses fiscales, réduire quelques dépenses budgétaires, s’attaquer à une ou deux niches fiscales ou sociales, créer quelques recettes supplémentaires (mais lesquelles ?)… mais aussi supprimer quelques taxes à faible rendement, augmenter le budget de la justice, de la sécurité, … tout cela n’augure rien de bien nouveau sur le plan des grands équilibres financiers publics.

Mais qui se soucie de la dette publique et de la recette ?

Alors reviennent les temps des discours usés parce que trop souvent similaires et entendus et revient le temps de l’endormissement dans les travées des palais Bourbon et du Luxembourg.

Et reviennent alors aussi, susurrant à l’esprit quelque pensée iconoclaste, les propos du regretté Edgar Faure décrivant la procédure législative budgétaire : Litanie, Liturgie, Léthargie !

Il est vrai qu’il avait eu aussi l’audace d’énoncer que « deux hommes auraient pu éviter la Révolution française : Turgot, mais il était déjà mort, et moi, mais je n’étais pas encore né » !

Le 27 septembre 2020

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