Revue européenne et internationale de droit fiscal

L’impôt forfaitaire unique algérien : un modèle de modernisation du système fiscal

Il peut sembler surprenant de prendre comme modèle un impôt algérien tant le système financier de ce pays est généralement réduit à sa rente pétrolière. Pourtant, en parallèle du système de la rente pétrolière s’y est également développé un système d’imposition. Or, avec la chute des cours des hydrocarbures, l’impôt prend une place de plus en plus importante et tend à devenir la principale ressource de l’Etat algérien. (1)

De prime abord, ce système fiscal algérien semble inspiré de celui de l’ancien colonisateur, la France. L’Algérie, à l’instar de ses voisins tunisien et marocain, a reproduit en grande partie, le système fiscal français en y adaptant les modalités d’imposition. L’impôt sur le revenu global (IRG) algérien est, comme l’impôt sur le revenu français, progressif et catégoriel. De même, l’impôt sur les sociétés français à pour équivalent en Algérie l’impôt sur les bénéfices des sociétés, l’ancienne taxe professionnelle celui de la taxe sur l’activité professionnelle et l’impôt sur la fortune celui de l’impôt sur le patrimoine. Il y a également dans le système fiscal algérien, comme dans le français, une taxe foncière et une taxe sur la valeur ajoutée.

La comparaison avec le système fiscal français s’arrête pourtant là. La multiplicité des impôts et la complexification de leur mode d’évaluation sont le fruit d’une évolution progressive du système d’imposition français. Or, l’efficacité de ce système fiscal repose d’abord sur la capacité d’adaptation, tant juridique que structurelle, des moyens de contrôle (2). Le système fiscal algérien, relayé au second plan par l’importance du rôle joué par la rente pétrolière, semblait ne pas avoir opéré cette même adaptation. Toutefois, ce n’est qu’apparence.

En effet, l’introduction de l’impôt forfaitaire unique (IFU) par les dispositions de l’article 2 de la loi de finances pour 2007 montre l’engagement d’un processus stratégique de modernisation de l’ensemble du système fiscal algérien. L’IFU est non seulement un révélateur mais également un modèle de cette stratégie de modernisation du système fiscal. Conçu comme une mesure de simplification pour le contribuable, il est surtout un outil d’amélioration de l’efficacité du système fiscal en appréhendant la réalité du tissu fiscal algérien (3).

1. L’IFU : un moyen d’imposer les revenus de l’économie informelle

L’IFU a été conçu comme un moyen de simplification du système fiscal algérien en fusionnant plusieurs impôts en un (4) au taux de 5% pour les activités de production et de vente de biens et 12% pour les autres activités (5). En l’absence de l’IFU, les contribuables concernés auraient dû être soumis à trois impôts distincts. Le premier est l’impôt sur le revenu global (IRG) dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux et dans celle des bénéfices non commerciaux, ou, depuis 2016, l’impôt sur le bénéfice des sociétés selon le statut juridique d’exercice de l’activité. Le deuxième impôt est la taxe sur l’activité professionnelle au taux de droit commun de 2% du chiffre d’affaires TVA comprise sauf pour les non assujettis à la TVA et ceux imposables à l’IRG dans la catégorie des BNC. Enfin, le troisième impôt est la taxe sur la valeur ajoutée.

Cette fusion des impôts n’a cependant pas été réalisée pour n’importe quel contribuable. A l’origine, l’IFU était prévu pour les petits contribuables, personnes physiques dont le chiffre d’affaires était inférieur à 10.000.000 de dinars. Son champ d’application a cependant été étendu à compter de 2016. Dorénavant, sont soumises à l’IFU les personnes physiques ou morales, les sociétés et coopératives exerçant une activité industrielle, commerciale, artisanale ou de profession non commerciale dont le chiffre d’affaires annuel n’excède pas 30.000.000 de dinars et les promoteurs d’investissement exerçant des activités ou projet, éligibles à l’aide du « fonds national de soutien à l’emploi des jeunes » ou du « fonds national de soutien au micro crédit » ou de la « caisse nationale d’assurance chômage » dont le chiffre d’affaires annuel n’excède pas 30.000.000 de dinars.

Les revenus visés par l’IFU sont essentiellement ceux provenant du commerce de détails et de fourniture de petites prestations de services et constituant l’essentiel du tissu économique algérien. De par leur nature, les revenus de ces activités sont difficilement appréhendable par l’administration favorisant ainsi le développement de l’économie informelle. En fusionnant différents impôts, l’IFU constitue ainsi un instrument ciblé permettant de réintégrer les revenus résultant de l’économie informelle dans le circuit fiscal. Mais, s’il est toujours un impôt unique, l’IFU n’est plus véritablement forfaitaire.

2. L’IFU : un moyen d’imposer les revenus réels du contribuable

L’évaluation selon le mode forfaitaire permet de préserver le contribuable de l’accomplissement de formalités déclaratives. Cet avantage pour le contribuable se fait cependant au détriment du rendement de l’impôt. Toutefois, le choix de l’évaluation forfaitaire est judicieux lorsqu’il s’inscrit dans une démarche stratégique à long terme. En effet, l’évaluation forfaitaire permet dans un premier temps à l’administration de recenser les contribuables assujettis à l’impôt. Dans un second temps, l’évolution vers un système déclaratif permet d’imposer le contribuable selon ses revenus réels. C’est justement ce processus qu’a engagé le système fiscal algérien avec l’IFU.

Initialement, le contribuable recevait de l’administration un avis d’évaluation par lettre recommandée avec accusé de réception mentionnant pour chaque année de la période biennale les chiffres d’affaires proposés. Le contribuable disposait alors d’un délai de 30 jours pour faire parvenir son acceptation ou proposer une réévaluation de son chiffre d’affaires. En cas de rejet par l’administration de la contre-proposition du contribuable, celui-ci pouvait effectuer une réclamation contentieuse.

A partir de 2016, les contribuables soumis à l’IFU sont tenus à certaines obligations déclaratives. Ils doivent souscrire une déclaration d’existence, dans les trente jours du début de leur activité auprès de l’inspection des impôts dont ils dépendent. Ils sont également soumis à l’obligation de déclarer eux-mêmes, avant le 1er février de l’année, le montant du chiffre d’affaires qu’ils sont susceptibles de réaliser au cours de l’exercice. Cette obligation déclarative a pour corolaire celle de tenir et présenter à toute réquisition de l’administration fiscale un registre côté et paraphé par les services fiscaux, récapitulé par année, contenant le détail de leurs achats, appuyé des factures et de toutes pièces justificatives et un registre côté et paraphé, contenant  le détail de leurs ventes. Ainsi, l’administration fiscale peut rectifier les bases déclarées, par un rôle individuel, en cas de possession d’éléments décelant des insuffisances de déclaration. En cas de dépassement du chiffre d’affaires prévisionnel, le contribuable est tenu de fournir une déclaration complémentaire en même temps que du paiement du complément d’impôt.

Le paiement de l’impôt peut être effectué en même temps que le dépôt de la déclaration car, depuis février 2016, les contribuables soumis à l’IFU, ayant souscrit la déclaration prévue à l’article premier du code des procédures fiscales, doivent procéder au calcul de l’impôt dû et le reverser à l’administration fiscale suivant la périodicité prévue à l’article 365 du Code des impôts directs et taxes assimilées. L’impôt forfaitaire unique est payé par quart auprès du receveur des impôts du lieu d’exercice de l’activité au plus tard le dernier jour du trimestre civil. Le contribuable peut cependant opter pour le paiement annuel de l’IFU au plus tard le 30 septembre de l’année au cours de laquelle le chiffre d’affaires est réalisé.

Il est surprenant que l’impôt forfaitaire unique n’inspire pas davantage de réflexion. En posant un regard attentif sur l’IFU, on s’aperçoit pourtant que le processus engagé par la création de cet impôt est original et complet, de l’évaluation à la liquidation. Il intègre non seulement la réalité du tissu fiscal algérien mais également la capacité des structures administratives à en assurer la gestion. Ainsi, l’impôt forfaitaire unique constitue un modèle de modernisation pour l’ensemble système fiscal algérien. A l’heure des « révolutions arabes », il peut aussi, sans doute, inspirer les administrations fiscales des pays en quête d’un modèle davantage adapté à leur réalité.

Mehdi DJOUHRI
Docteur en droit

(1 )Hayet BOUILEF, La mobilisation des ressources publiques par la fiscalité ordinaire en Algérie, ENAG Editions, Alger 2014, 382 p.

(2)  Mehdi DJOUHRI, L’évolution du contrôle fiscal depuis 1945 : Aspects juridiques et organisationnels, LGDJ, Lextenso Editions, 2012, 449 p.

(3)  Pour le Professeur Charles ROBBEZ MASSON, les objectifs sous-jacents de l’IFU sont en contradiction celui affiché : la simplification (« Trinité fiscale en terre d’Islam : l’impôt forfaitaire unique (IFU) algérien », in Ecrits de fiscalité : Etudes à la mémoire du Professeur Maurice COZIAN, LITEC, Lexis Nexis, 2009, p. 655 à 676). Au contraire, la simplification par l’IFU s’inscrit dans une stratégie consistant à développer le civisme fiscal de la part du contribuable tout en améliorant l’efficacité de la gestion de l’impôt par l’administration.

(4)  Sur les théories de l’impôt unique : Michel BOUVIER, Introduction au droit fiscal général et à la théorie de l’impôt, LGDJ Lextenso Editions, Collection Systèmes, 13 ème éditions, p. 200 à 210

(5)  Concernant le taux de l’impôt forfaitaire unique applicable à l’activité mixte, celui-ci est déterminé au prorata du chiffre d’affaires correspondant à chaque activité.

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