Revue européenne et internationale de droit fiscal

Questions réponses à Jean Giard

Jean Giard

Jean Giard

Docteur en droit public
Agent public au sein de la direction générale des douanes et droits indirects

Systeme Fiscal International Giard

1 – Le comité des affaires fiscales de l’OCDE et le comité d’experts de l’ONU sont-ils complémentaires ou concurrents sur le terrain du droit fiscal international ?

Le « comité des affaires fiscales » de l’OCDE et le « comité d’experts de la coopération internationale en matière fiscale » des Nations Unies se sont historiquement construits comme les héritiers du comité financier de la Société des Nations dont ils se sont partagé de facto la succession. L’OCDE a hérité du modèle de convention fiscale dit « de Londres », créé en 1946 par les puissances occidentales et qui repose sur le primat de l’imposition dans l’État de résidence.

L’ONU a repris quant à elle les travaux sur le modèle concurrent dit « de Mexico », créé en 1943 et faisant primer l’imposition dans l’État de la source et étant ainsi plus favorable aux pays en développement. Partant, le comité des affaires fiscales de l’OCDE et le comité d’experts de l’ONU défendent, en apparence, des intérêts antagonistes : ceux des États développés pour l’OCDE, ceux des États en développement pour l’ONU.

Dans ma thèse, j’explore les circonstances historiques de cette distinction et sa place dans l’histoire du droit fiscal international. Ces deux dernières décennies, l’OCDE a renforcé sa position au sein du système fiscal international en travaillant de concert avec le G20. Elle s’est, de fait, imposée comme la principale organisation internationale en matière fiscale : son modèle de convention fiscale est devenu le modèle le plus utilisé et ses initiatives successives tendent à être de plus en plus inclusives des pays en développement. Elle tend peu à peu à des solutions à vocation universelle comme le plan pour lutter contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS) et son instrument multilatéral. À l’inverse, l’ONU peine à imposer son initiative en matière fiscale, ses propositions relevant davantage de contre-propositions à la production de l’OCDE.

Depuis deux ans, toutefois, les Nations Unies ont tenté de réinvestir la matière fiscale en proposant une convention-cadre des Nations Unies sur la coopération fiscale internationale. Porté particulièrement par le groupe des États africains (et critiqué par les pays de l’OCDE qui y voient un doublon à l’instrument multilatéral sur le BEPS), ce projet de convention-cadre met en exergue l’ambigüité des rapports entre OCDE et ONU en matière de fiscalité internationale.

Pour autant, l’approche systémique du droit fiscal international portée par ma thèse permet de faire une lecture différente de cette apparente rivalité : ces deux instances contribuent de manière distincte mais complémentaire à l’élaboration et à la mise en œuvre du droit fiscal international. La diversité des moyens et des outils utilisés dans la coopération fiscale internationale nécessite une pluralité d’experts et d’instances, ce qui renforce la complémentarité entre l’OCDE et l’ONU. Il s’agit là de deux acteurs du système, deux acteurs majeurs mais non exclusifs.

Ainsi que je le développe dans ma thèse, d’autres instances ont pu émerger au cours des dernières années pour proposer d’autres modèles de coopération fiscale internationale plus ou moins régionalisés. Le BRITACOM, l’appareil de coopération fiscale au sein du projet des nouvelles routes de la soie porté par la Chine, en est un exemple topique.

2 – Quelle légitimité a l’OCDE, organisation administrative internationale, à proposer aux États, la réécriture des fondamentaux du droit fiscal international et de signer un traité, la convention multilatérale contre les transferts de bénéfices ?

Acteur central – mais non exclusif – du système fiscal international, l’OCDE a acquis progressivement un rôle en matière fiscale. Sa légitimité politique – ou, à tout le moins, diplomatique – repose aujourd’hui sur l’aval du G20 sur ses recommandations, ainsi que sur sa capacité à inclure des pays non membres de l’OCDE ou du G20 au sein d’instances dédiées.

La convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices a ainsi été négociée dans le cadre du projet BEPS de l’OCDE et du G20 au sein d’un cadre inclusif réunissant aujourd’hui plus de 145 pays et juridictions. Les États participent directement aux travaux de l’OCDE – là où, dans le cadre du comité des experts fiscal des Nations Unies et son ECOSOC, les États ne bénéficient que d’une représentation « tournante ». Projetée sur une carte du monde comme c’est le cas dans ma thèse, cette différence de participation est d’autant plus évidente.

Ma thèse met en exergue que cette légitimité repose également sur l’expertise de l’OCDE en matière de fiscalité internationale : le choix de l’OCDE par le G20 pour mener les travaux contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices démontre précisément la capacité technique de l’OCDE en matière fiscale internationale. Cette matière, assez récente dans l’Histoire, s’est éminemment complexifiée au fur et à mesure de la mondialisation des échanges et la globalisation économique.

Cette légitimité repose enfin sur l’adéquation des règles proposées par l’OCDE avec les objectifs mêmes du système fiscal international que je mets en exergue : l’objectif très pragmatique de rendement budgétaire pour les États et celui, plus conceptuel, de justice fiscale.

3 – Comment pourrait-on mieux associer les Parlements nationaux dans l’élaboration du droit fiscal international ?

Les normes produites par l’OCDE – ou par l’ONU – en matière de fiscalité internationale ne sont que des règles de soft law. Elles ont néanmoins une incidence fondamentale dans les règles de hard law finalement adoptées par les États.

Les Parlements nationaux participent nécessairement à cette intégration des règles de soft law internationale dans la hard law nationale. Pour autant, ce rôle s’inscrit par trop en aval de la cristallisation des règles. Saisis de la ratification de conventions fiscales internationales – bilatérales et, désormais, multilatérales – ou de la transposition de directives européennes reprenant les standards internationaux, les parlementaires ne disposent que de peu de marges de manœuvre à l’égard des textes qui leur sont soumis dans ce contexte.

Cet état de fait crée nécessairement une distance entre l’émetteur (les instances internationales) et le récepteur de la norme (le contribuable). Le réinvestissement de la matière par le réel dépositaire du pouvoir fiscal (le Parlement) est un enjeu fondamental des évolutions futures du droit fiscal international.

Il existe plusieurs possibilités pour mieux associer les Parlements nationaux aux travaux des instances internationales.

Une première serait de dépêcher auprès des Parlements les experts fiscaux des organisations internationales afin d’assurer leur parfaite compréhension des normes proposées. Sur ce point, la France bénéficie de la proximité géographique du siège de l’OCDE et de son Parlement qui a permis de nombreuses auditions des représentants de l’OCDE au sein des deux chambres.

Cette logique pédagogique doit néanmoins être étendue à l’ensemble des États et systématisée. Elle est d’autant plus nécessaire avec l’émergence de nouveaux vecteurs de soft law, à l’instar des modèles de loi du Pilier 2 par exemple, qui impliquent un rôle beaucoup plus actif du législateur. Elle pourrait notamment être calquée sur ce qui se pratique d’ores et déjà en matière de formation des administrations fiscales.

Une seconde possibilité serait de solliciter les parlementaires dès la discussion des règles de soft law en les faisant participer aux travaux préparatoires et aux différentes concertations. À ce titre, le réseau parlementaire mondial de l’OCDE pourrait être développé en matière fiscale et, de la même manière, systématisé.

4. En quoi le droit fiscal international fait-il système ?

Un système est un ensemble d’éléments entre lesquels il existe des interactions et qui présente une cohérence générale. Le droit fiscal international fait système en ce que l’interaction de ses éléments, ses normes comme ses acteurs, participent d’une cohérence globale, d’objectifs communs : celui de rendement budgétaire d’une part, celui de justice fiscale d’autre part.

J’affirme dans ma thèse qu’il est nécessaire d’appréhender ce système fiscal international dans son ensemble pour comprendre chacun de ses éléments, la portée de chacune de ses normes, et le rôle de chacun de ses acteurs. Pour ce faire, j’ai retracé les apports de la doctrine, autant anglo-saxonne que française ou européenne, les auteurs et experts étant eux-mêmes acteurs du système fiscal international. Il en ressort des approches diverses mais cohérentes les unes par rapport aux autres et qui s’enrichissent de la comparaison.

Le droit fiscal international fait système et il appartient à chacun de ses acteurs de l’investir pleinement en renforçant les interactions, en créant des initiatives communes, en confrontant leurs points-de-vue. L’identification de ce système est un outil qui, je l’espère, pourra favoriser une telle dynamique.

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