
David YTIER
Docteur en droit public
Membre associé du Centre d’Etudes Fiscales et financières
Aix-Marseille Université

Dalloz
Collection Bibliothèque parlementaire & constitutionnelle 2021, 457 pages.
1 – Comment se traduit le respect du principe d’égalité en matière de fiscalité locale ?
L’égalité doit être réaffirmée comme consistant en un rapport à instaurer. La fiscalité locale n’échappe pas à cette conception de l’égalité. Elle doit la poursuivre, tant par la conception technique de l’impôt qu’à travers le cadre public et territorial dans lequel elle se développe. Ce n’est qu’au prix de cette double conciliation que la fiscalité locale peut s’inscrire dans une démarche globalement égalitaire. Or, compte-tenu des écarts de situation entre collectivités territoriales et par sa conception même, la fiscalité locale ne peut atteindre l’égalité parfaite, à moins de remettre en cause l’existence même de cet impôt. La fiscalité locale peut seulement être le terrain d’une conciliation, celui de l’application d’une égalité dont l’ampleur du rapport reste à déterminer. L’installation d’un rapport égalitaire au sein du système fiscal local oblige à évaluer les cas dans lesquels il serait rompu. S’impose alors une distinction spécifique entre ce qui relève d’une différence liée au concept même de fiscalité locale – la différenciation – et ce qui relève d’une rupture de l’égalité. Ce sont ces ruptures qui doivent être identifiées et écartées, pour que l’impôt local soit concilié avec l’égalité dans un rapport le plus étroit. Ces ruptures apparaissent par exemple au travers d’éléments du régime fiscal local. Certains sont notoirement critiqués, comme le sont les valeurs locatives cadastrales qui véhiculent pour l’évaluation de l’assiette une inégalité du fait de leur obsolescence. D’autres génèrent aussi l’inégalité, comme le sont les abattements facultatifs dont le principe ou la mise en œuvre peuvent entraîner une rupture de l’égalité devant les charges publiques si leur encadrement est insuffisant.
2 – Les transferts de TVA vers les collectivités, la suppression progressive de la taxe d’habitation remplacée par une dotation de l’Etat, l’encadrement législatif, et réglementaire quant au vote des taux sont-ils de nature à soutenir que la fiscalité n’a plus que « locale » que le mot ?
Deux remarques doivent être faites pour répondre à cette question essentielle.
La première consiste à revenir au terme même de fiscalité locale. Si ce terme est couramment utilisé, il souffre d’un manque de conceptualisation qui rend le sujet assez insaisissable. Ainsi, à la base du travail de recherche en vue de la rédaction de la thèse, un essai de définition de la fiscalité locale a été réalisé. Trois critères ont été identifiés pour distinguer la fiscalité locale. Le premier est budgétaire pour s’assurer de l’affectation de la ressource fiscale à une personne publique locale ; le deuxième est territorial, car la ressource prélevée doit être localisée sur le territoire de la personne bénéficiaire ; le troisième est normatif en raison de la compétence de l’entité financée à moduler la ressource conformément à ses propres besoins. Au regard de cette définition, il peut être constaté que le modèle de la fiscalité locale française a peu à peu été affaiblie, notamment par les évolutions que rappellent la question posée.
La seconde remarque renvoie aux conclusions de la thèse. La fiscalité locale devra affronter deux défis majeurs dans les prochaines années. Si le second consiste à assumer la différenciation qu’engendre intrinsèquement la fiscalité locale, le premier défi est vital : il s’agit d’assurer son existence. Ce défi porte sur la place, le rôle et l’évolution de la ressource fiscale locale par rapport notamment aux dotations que l’État peut attribuer aux collectivités, et qui pourraient in fine supplanter le financement par l’impôt. Ce qui menace principalement et réellement l’existence même de la fiscalité locale actuellement, c’est le risque d’un grand remplacement de cette ressource par l’octroi de dotations quasi-fiscales. Celui-ci est déjà en cours ! Or, la différence entre les dotations et la fiscalité locale doit être réaffirmée au regard notamment des enjeux démocratiques et de la responsabilisation des exécutifs locaux que seul l’impôt peut permettre. À titre d’exemple, la Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) ne constitue pas une réelle imposition locale puisque la collectivité qui en bénéficie ne dispose sur elle d’aucune marge de manœuvre. Elle constitue bien une recette fiscale proche d’une dotation, ce qui entraîne peu à peu un effacement de la fiscalité locale.
3 – Les mécanismes de péréquation, qui peuvent être compris comme des mécanismes de solidarité, sont-ils de nature à corriger les inégalités et à trouver, ou à retrouver, le principe d’égalité ?
La poursuite de l’égalité nécessite, sur le plan local, d’admettre que la décentralisation s’est construite sur une répartition territoriale inégale, et a constitué une loupe grossissante aux écarts naturels entre les territoires. Dès lors, pour instiller l’égalité voire chercher une conciliation entre décentralisation fiscale et égalité, il convient de chercher des formules opérationnelles. Celles-ci peuvent s’inspirer de la solidarité, juridiquement identifiée comme un corollaire de l’égalité par l’alinéa 12 du préambule de la Constitution de 1946 : « la Nation proclame la solidarité et l’égalité de tous les Français devant les charges qui résultent des calamités nationales ». Le principe de solidarité a d’ailleurs permis au Conseil constitutionnel d’admettre l’un des premiers outils de la solidarité financière locale à travers un mécanisme de péréquation établi entre les habitants de la région Ile-de-France (Conseil constitutionnel, décision n°91-291 DC du 6 mai 1991, Loi instituant une dotation de solidarité urbaine et un fonds de solidarité des communes de la région d’Ile-de-France, réformant la dotation globale de fonctionnement des communes et des départements et modifiant le code des communes). Par conséquent, la péréquation incarne la solidarité, et plus précisément une solidarité entre les territoires. Or, si la solidarité s’exprime par la péréquation, le lien entre égalité et péréquation a lui été établi par la révision constitutionnelle de 2003. En effet, l’article 72-2 de la Constitution dispose depuis en son cinquième alinéa : « La loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l’égalité entre les collectivités territoriales ». Ainsi, par l’intermédiaire de la péréquation qui l’incarne, la solidarité locale se trouve formellement liée à l’égalité dans le bloc de constitutionnalité. Néanmoins, si la péréquation favorise l’égalité, elle n’en constitue toutefois pas la solution miracle. D’une part, elle ne constitue qu’un vecteur d’égalité et ne peut que gommer les inégalités ou les compenser, sans les faire disparaître. D’autre part, la péréquation peut faire naître des incidences variables qui interrogent vis-à-vis de la conception même de la fiscalité locale en risquant par exemple de déresponsabiliser les élus locaux présidant aux destinées de collectivités bénéficiaires de ces flux.
4 – Peut-on envisager une reforme de la fiscalité locale sans repenser une réforme plus globale des finances locales ?
Évidemment, cela n’est pas envisageable. L’étude de la fiscalité locale est liée à celle du système financier local dont l’ensemble des éléments sont solidaires. De plus, une réforme de la fiscalité locale, quelle que soit son issue pour la ressource qu’elle procure aux collectivités territoriales, soulèverait une question lors de sa mise en œuvre : les collectivités disposeraient-elles toujours de la capacité budgétaire à répondre aux besoins des citoyens et à mettre en œuvre les compétences qui leur sont dévolues ? Par conséquent, dès lors qu’une réforme majeure du régime fiscal local affecte l’autonomie financière des collectivités territoriales, ses conséquences sur les finances locales doivent être identifiées et doivent engendrer une réforme financière locale plus globale. Or, lors des dernières évolutions majeures, comme a pu l’être la suppression de la taxe d’habitation, cette réflexion globale n’a pas été réellement prise en compte.
De surcroît, la fiscalité locale dépasse les seuls enjeux financiers. Ainsi, la fiscalité locale ne peut être détachée de l’environnement public local dans lequel elle s’inscrit car elle est étroitement liée à la réflexion sur le périmètre et l’organisation des collectivités territoriales. Au-delà, l’exercice de la compétence réglementaire en matière fiscale constitue un enjeu démocratique. L’imposition locale contribue à la responsabilisation de la gestion par les élus locaux, et elle constitue un vecteur de vivacité de la démocratie de proximité. Par conséquent, la réforme ou tout au moins, la réflexion autour de la fiscalité locale, pourrait être le point de départ d’une réflexion bien plus large sur l’organisation de la décentralisation, la mise en œuvre de l’action publique locale et les moyens financiers à disposition des collectivités territoriales.