
Jean-François BOUDET est maître de conférences HDR en droit public à l’Université Paris Cité (Centre Maurice Hauriou, E.A. 1515), associé au CERSA-CNRS (UMR 7106 – Université Paris Panthéon-Assas).
Il est également collaborateur scientifique au Tax Institut (Université de Liège)

1 – Existe-t-il une politique fiscale communautaire, autre qu’en matière de TVA et d’accises, qui soit autre chose qu’une politique d’accompagnement des quatre libertés fondamentales qui animent les traités ?
La question que vous me posez pourrait se résumer avec un brin de provocation et d’humour par la fameuse « tarte à la crème » chère à Maurice Cozian. Il est en effet habituel d’affirmer que le droit fiscal européen n’existe qu’à travers la construction de l’Union douanière puis du marché intérieur et qu’aux services des quatre grandes libertés économiques, à savoir : les libres circulations des personnes, des biens, des services et des capitaux. (V. clairement en matière de fiscalité indirecte). Autrement dit, la doctrine de la Commission européenne n’oblige pas une harmonisation totale des systèmes fiscaux des Etats membres : tant que ces derniers respectent la législation de l’UE, ils demeurent libres de choisir le système fiscal qui correspond le mieux à leurs préférences. C’est la raison pour laquelle toute proposition d’action fiscale au niveau de l’UE doit s’appuyer sur les principes communs de subsidiarité et de proportionnalité. Cela signifie plus exactement que de telles mesures fiscales ne s’imposent uniquement au niveau européen que lorsque les Etats membres sont dans l’impossibilité d’apporter une solution efficace (V. assurément en matière de fiscalité directe). Cette logique est tout à fait confortable sur le plan scientifique puisqu’elle permet de discuter la compétence fiscale de l’Union européenne à l’aune de la souveraineté fiscale des Etats membres et du pouvoir fiscal régalien qui reste à ces derniers. L’on pourra également apprivoiser la notion d’impôt européen au regard de la seule théorie régalienne de l’impôt comme s’il ne pouvait pas y avoir d’impôt sans Etat (V. cependant le dernier essai proposé par Th. Lambert : L’impôt dans une économie mondialisée. Contribution à une théorie générale de l’impôt, paru en 2021 aux éd. Bruylant). On pourra en outre trouver quelques « ressources propres » permettant à l’UE d’asseoir son autonomie financière sans trop l’affirmer. D’autres diront enfin que la politique européenne des aides d’Etats en matière fiscale ou les mesures de coopérations administratives et politiques notamment en matière de lutte contre l’évasion et la fraude fiscale assument – faute-de-mieux – les prémices d’une politique fiscale communautaire. Il n’y a donc pas à mon sens de politique fiscale européenne au sens strict et au singulier mais des éléments de politiques fiscales (au pluriel) qui accompagnent la construction du marché intérieur dans l’ensemble de ses dimensions (commerce, environnement, transports, etc.). C’est la raison pour laquelle j’ai adopté une double démarche dans mon ouvrage : une démarche horizontale (ce que font les Etats membres de l’UE) et une démarche verticale (ce que proposent les autorités européennes).
Cette orientation me permet de nous appeler, nous juristes-fiscalistes et citoyens de l’Europe, à faire œuvre de propositions et analyses pour sortir de « bricolage » fiscal actuel. Plusieurs possibilités nous sont souvent offertes : une TVA européenne, une taxe sur les transactions financières ou sur le secteur digital, un impôt des sociétés européen, etc. Peu importe à ce stade, car cela ne sert à rien d’en discuter tant que les Européens ne sont pas convaincus que seul un impôt européen puisse être susceptible de concilier la solidarité et la responsabilité dans un cadre démocratique. Cet écueil, on le doit certainement aux réformateurs qui n’ont pas osé aller au bout de la logique d’intégration européenne et sociale dans les années 1990 parce que le saut dans la politique monétaire européenne leur paraissait – on le conçoit – déjà un très grand pas et alors même que le mur de Berlin venait à peine de tomber. On comprend aussi que de nombreux Etats souhaitent aujourd’hui garder le contrôle de leurs finances publiques et des moyens de financement mis à la disposition de l’UE, notamment par crainte de dépenses incontrôlées de la part de l’UE et des Etats et de de déficits budgétaires et dettes publiques persistants et parfois importants, par absence de légitimité politique réelle du Parlement européen en matière fiscale et d’une conscience fiscale européenne de nos concitoyens, ou par manque de transparence des mesures prises par la Banque centrale européenne et le mécanisme européen de stabilité. Ce scepticisme a sa part de vérité – les « crises » multiples de confiance aidant – et il est vrai que l’Europe bureaucratique n’a pas bonne presse. L’Europe est en effet un construit complexe ; elle n’est pas un acquis conscientisé. Mais le contexte a évolué : défis démocratiques, géopolitiques, climatiques, sociaux, etc.
Ne nous trompons pas ! Il semble difficile, même quasiment impossible, d’envisager un approfondissement de la citoyenneté européenne par le modèle de la citoyenneté fiscale française hérité de 1789 puisque le transfert de la souveraineté financière à l’Union européenne signifierait la fin des Etats-Nations membres et le partage d’une compétence avec le simple transfert d’un impôt ne semblerait possible que pour les prélèvements sur les entreprises (outre la TVA, l’impôt sur les sociétés par exemple). Il s’agirait alors de transférer à une échelle supranationale des impositions qui ne rendraient pas solidaires financièrement les citoyens de l’UE. Nous sommes dès lorsd’avis d’adopter un discours positif de solidarité fiscale opposé à la dévalorisation de l’impôt des doctrines néolibérales, dévalorisation concomitante des politiques de concurrences fiscales, dommageables pour la solidarité financière des Etats membres et des citoyens. Ce discours donnerait une forme de légitimation à une « Europe fiscale » en construction, entendue à la fois comme tempérance à un absolutisme technocratique européen d’une part et d’autre part à un nécessaire recul de l’Etat-Nation en Europe. Le sujet est d’une sensibilité extrême et demande de répondre à une simple question : La fiscalité européenne pour quoi faire ? La réponse est aujourd’hui si ce n’est essentielle certainement vitale pour la construction européenne.
Bien plus qu’un simple manuel, l’ouvrage que j’ai pu rédiger entend donc poser le débat au-delà de nos différences nationales – ne dit-on pas que la devise de l’Union européenne est depuis 2002 « Unie dans la diversité » ? – et espère donner modestement quelques éléments de réflexions à la fois pour les étudiants auxquels j’ai l’honneur de dispenser le cours de droit fiscal européen dans mon Université mais aussi pour l’ensemble des citoyens européens.
2 – Peut-on considérer que la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne comme un substitut, en matière fiscale, à l’absence de projets d’envergure de la Commission et du Conseil ?
Je dirais que la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) est bien plus qu’un « substitut » en matière fiscale. La Cour de Luxembourg exerce certes une « tutelle » sur la fiscalité européenne comme elle peut le faire sur l’ensemble du droit européen mais elle fait bien plus. Elle est à mon sens législateur par nécessité. Plus exactement :
– elle se comporte en juge naturel et complet en matière douanière ;
– elle développe une jurisprudence légèrement extensive dans le domaine de la TVA ;
– elle soutient activement les actions en manquement lancées par la commission contre les Etats membres sur le fondement de l’art. 258 TFUE
– elle assure une jurisprudence forte de plus de quatre-cents arrêts en matière de fiscalité directe alors même que cette matière fiscale n’est pas de la compétence fiscale a priori du droit européen.
Nous pouvons facilement noter ici que ce rôle de la CJUE est relativement récent et dynamique puisqu’il faudra véritablement attendre les années 1990 pour que la Cour puisse asseoir sa force coordinatrice des politiques fiscales nationales dans un contexte et des orientations politiques nouvelles avec l’achèvement du marché intérieur et l’entrée en vigueur le 1er juillet 1987 de l’Acte unique européen signée par les douze Etats membres les 17 et 28 février 1986. Le rôle de la CJUE a été et reste ici déterminant puisqu’elle se définit en l’absence de pouvoir fiscal européen comme la seule institution permettant effectivement de déployer les moyens de coordination des législations des Etats membres. C’est peut-être en cela que votre question évoque durement « l’absence de projets d’envergure de la Commission et du Conseil ».
Cette dynamique s’est même intensifiée avec son arrêt « fondateur » C-279/93 du 14 février 1995, Finanzamt Köln-Altstadt c/ Roland Schumacker permettant un rapprochement substantiel des législations fiscales sans pour autant prendre de front la souveraineté fiscale des Etats membres. La Cour pose en effet et sous la forme d’un axiome principiel qu’elle n’a pas de compétence acquise par les traités en matière fiscale mais qu’elle doit assurer un encadrement de la fiscalité directe des Etats membres : cons. 21 : « si, en l’état actuel du droit communautaire, la matière des impôts directs ne relève pas en tant que telle du domaine de la compétence de la Communauté, il n’en reste pas moins que les Etats membres doivent exercer leurs compétences retenues dans le respect du droit communautaire. ». C’est peut-être aussi en cela que cette politique jurisprudentielle de la Cour de Justice n’a provoqué aucune réaction du législateur européen alors même que la Cour ait déclaré contraires les règles nationales de la fiscalité directe au traité dans 90% des cas. Cette démarche créatrice peut paraître surprenante et osée puisque la CJUE n’a pas en principe pour fonction de participer directement au rapprochement des législations en matière fiscale. Cette interprétation dynamique des traités par la Cour demeure toutefois habituelle grâce à sa méthode téléologique qui consiste à lire les dispositions des traités dans leur contexte et en fonction des buts à atteindre.
C’est aussi pour cette raison que je crois pouvoir affirmer que la Cour de Justice prend ici l’habit d’un « législateur-cadre-positif » à l’instar d’un juge constitutionnel faisant s’effacer le législateur européen en matière fiscale (pour reprendre le travail de Christian Behrendt en droit constitutionnel). C’est peut-être aussi pour cette raison qu’Alexandre Maîtrot de la Motte y décèle un partage des rôles selon une dichotomie « intégration négative » revenant au législateur communautaire et « intégration négative » relevant du juge européen. Le législateur européen imposerait plus exactement des obligations de faire aux Etats membres alors que le CJUE se contenterait d’imposer de simples obligations de ne pas faire et, en l’occurrence de ne pas violer les libertés économiques européennes. Cette distinction reste cependant discutable.
– Elle l’est d’abord sur un plan sémantique puisque l’intégration négative s’opposerait à l’intégration positive sous la forme d’une harmonisation des différents Etats membres. Or, si l’intégration se veut négative, c’est parce qu’il n’y a pas d’harmonisation dans le domaine en question. Cela n’empêcherait pas dès lors le contrôle du juge communautaire de l’exercice de la souveraineté fiscale des Etats membres, ce qui pourrait aboutir à un certain rapprochement de fait des législations… d’où l’expression d’ « intégration négative ».
– Ce n’est pas non plus tout à fait juste puisque le recours en manquement a pour initiative la Commission européenne et consiste à sanctionner les Etats membres qui, à travers leurs législations, violeraient le droit de l’Union européenne.
– L’œuvre jurisprudentielle de la CJUE en matière fiscale se nourrit enfin et principalement de la procédure de renvois préjudiciels formée par les Etats membres eux-mêmes. Elle permet à une juridiction nationale d’interroger la Cour de justice sur l’interprétation ou la validité du droit de l’Union européenne dans le cadre d’un litige dont elle est saisie et n’apparaît pas dès lors comme un recours formé contre un acte européen ou national, à la différence des autres procédures juridictionnelles. La décision de la CJUE a l’autorité de la chose jugée et s’impose à la juridiction nationale à l’initiative du renvoi préjudiciel, mais aussi à toutes les juridictions nationales des Etats membres qui seraient confrontées à une question identique ou similaire. Cette procédure n’exprime pas une forme particulière d’intégration européenne mais un outil d’interprétation du droit de l’Union européenne, voire un risque certain pour les Etats membres dès lors que plus la Cour donnera une portée large au marché intérieur, plus les contraintes augmenteront pour les Etats membres concernant ce qu’ils pourront continuer de faire en matière fiscale.
La jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne est donc à mon sens bien plus qu’un « substitut » ; par sa méthode et son raisonnement, elle est davantage un élément moteur de la fiscalité européenne.
3 – Sachant que les aides fiscales nationales sont encadrées, comment concilier l’harmonisation, le rapprochement des législations nationales et l’attractivité, notamment fiscale, des Etats membres ?
Je crois que nous devons ici être honnête avec nous-mêmes : les contradictions naturelles entre Etats membres et institutions européennes se retrouvent déjà dans le fonctionnement même du marché intérieur par la libre circulation des marchandises des personnes des services et des capitaux et par la libéralisation des marchés d’une part et d’autre part par la règle de l’unanimité des Etats membres pour adopter une législation fiscale européenne. La concurrence fait partie de l’ « ADN » de la construction communautaire puis européenne.
C’est la raison pour laquelle la discussion ne porte pas à mon sens sur une uniformisation fiscale européenne mais énonce simplement des procédés d’harmonisations partielles dans lesquels les souverainetés fiscales des Etats membres gardent un poids pressant. Le terme de « conciliation » prend ici un sens peu flatteur et négatif. Plus exactement, bien que les Etats européens tiennent à conserver cet espace de souveraineté qui permettrait la production de biens collectifs conformes à leurs préférences nationales, ils connaissent aussi une érosion de la base d’imposition des biens et services les plus mobiles – consécutivement d’ailleurs au processus discursif européen de concurrence fiscale – et espère récupérer ces pertes fiscales sur leur base la moins mobile. Ce redéploiement des structures fiscales touche ses limites dès lors que les Etats européens doivent trouver de nouveaux équilibres entre efficacité économique, équité fiscale et droit de lever l’impôt. Un jeu d’équilibriste entre une base politique nationale et un discours européen positivement ouvert…
De fait, c’est davantage en favorisant la convergence fiscale que les autorités européennes entendent aujourd’hui associer les Etats par des comportements mimétiques et par des décisions budgétaires nationales au sein d’un même ensemble fiscal global. J’ai essayé à cette fin de poser dans mon ouvrage un cadre – celui de la « géographie fiscale » – et d’user ici-bas d’une méthode et d’une démarche comparatives. C’est toute l’originalité – je l’espère ! – de mon travail. Pour les autorités européennes, il n’y a plus rien à attendre de comportements mimétiques des Etats membres à partir du moment où chaque collectivité perçoit comme un coût la fuite de capital vers les autres collectivités à la suite d’une augmentation de son taux de taxation, et, ce, sans tenir compte de l’externalité fiscale positive que cette fuite engendre ainsi pour les autres collectivités locales. Plus exactement, il y a externalité fiscale négative pour la collectivité qui a vu sa pression fiscale augmentée et une externalité positive pour celles qui bénéficient de flux de capitaux ; le mimétisme n’est plus seulement fait de réactions fiscales qui vont dans le même sens, mais bien de choix convergents de politiques fiscales entre Etats qui tendent à être identiques. Malgré des différences entre juridictions fiscales, ces interactions conduisent à un équilibre qui devient une condition essentielle de la réussite de la construction européenne en général et d’une « Europe fiscale » en particulier comme s’il s’agissait de sacraliser la souveraineté fiscale des Etats comme principe intangible, incontestable et intouchable.
Cette prise de conscience des autorités européennes se retrouve clairement dans le « rapport Burke » au tournant libéral des années 1980, dans lequel la Commission européenne prend acte de cet état de fait et réduit ses ambitions d’harmonisation en considérant que celle-ci n’est plus un objectif prioritaire. Autrement dit, la fiscalité n’intéresse les autorités européennes que dans la mesure où elle influe sur les grandes libertés communautaires et alors que les Etats membres veulent garder autant de souplesse que possible dans leurs systèmes fiscaux pour répondre aux contraintes économiques, budgétaires et sociales qu’ils doivent affronter au quotidien. Cette candeur et ce pragmatique est symptomatique de ce qu’est la construction fiscale européenne depuis les années 1980 comme si l’Europe demeurait un simple et grand marché dans lequel chaque Etat doit faire son shopping selon son propre vouloir et à sa guise (l’attitude du Royaume-Uni entre 1972 et 2016 est l’exemple le plus manifeste à ce sujet). C’est aussi pour cela et comme j’ai pu l’indiquer dans ma réponse à la première question que je pense fondamental de légitimer l’ « Europe fiscale » par une prise de conscience citoyenne européenne mais sans y ajouter un nouveau échelon de pression fiscale. Ce n’est donc pas seulement une conciliation entre une harmonisation, un rapprochement des législations nationales et une attractivité, notamment fiscale, des Etats membres qu’il conviendrait d’opérer mais bien comme j’ai pu poser la question, se demander à quoi sert la fiscalité européenne. Je crois que nous sommes ici encore au cœur de la construction européenne en devenir.
Répondre à cette question est peut-être l’occasion de revisiter les politiques européennes à l’aune de la théorie de l’Etat providence et de nous rappeler que l’Union européenne a des compétences strictement définies par les traités. On pourrait donc bien imaginer au-delà des économies d’échelle établies renverser le principe européen de subsidiarité et accepter de réels transferts de compétences financés par l’outil budgétaire et fiscal à l’échelle européenne pour construire véritablement et assurément notre « Etat providence européen » en nous détachant du modèle américain (V. de manière stimulante mais complexe, sur ces modèles et leurs différences qui vont au-delà des théories économiques, l’essai d’Alb. Alesina et Ed. L. Glaeser “Fighting Poverty in the US and Europe – A world of difference”, Oxford University Press, 2004).
4 – Peut-on considérer qu’avec le lieu unique de déclaration en matière de TVA, mis en place au 1er juillet 2021, on a enfin réalisé le Marché commun ?
Cette question peut paraître plus technique que les autres. Elle est pourtant tout aussi fondamentale et n’a peut-pas été suffisamment médiatisée (V. cependant essentiellement : les travaux de Marie Lamensch et Edoardo Traversa parus à la RIDE 2019/3 : « Plateformes numériques : développements récents en matière fiscale »). Comme vous le rappeliez, cette réforme européenne s’applique de manière uniforme dans tous les Etats membres de l’Union européenne depuis le 1er juillet 2021. Plus exactement, le paquet TVA sur le commerce électronique (ou e-commerce) est une réforme totale des règles en matière de TVA qui régissent le commerce de biens et de services principalement en faveur de personnes non assujetties (commerce B2C), particulièrement au travers de plateformes électroniques.
L’objectif de cette réforme est autant de faciliter les échanges transfrontaliers, de garantir une concurrence loyale pour les entreprises de l’UE que de lutter contre la fraude à la TVA. Cette réforme est donc importante pour créer un espace de TVA unique afin de renforcer le marché commun. Sont en ce sens attendus plusieurs bénéfices :
– Les entreprises bénéficieront d’une réduction sensible des coûts de mise en conformité en matière de TVA transfrontalière. Cela faciliterait davantage le commerce transfrontalier.
– Les entreprises de l’UE seraient en mesure de rivaliser sur un pied d’égalité avec les entreprises établies dans les pays tiers qui n’appliquent pas de TVA pour certains biens qui proviennent de l’extérieur de l’UE.
– Les Etats membres y gagneraient grâce à une augmentation des recettes de TVA.
Plus concrètement encore, les entreprises qui exploitent des interfaces électroniques (places de marché, plateformes, etc.), sont désormais et dans certaines situations considérées comme étant le fournisseur de biens vendus aux clients dans l’UE par des entreprises qui utilisent le marché ou la plateforme. Par conséquent, elles doivent collecter et payer la TVA sur ces ventes.
Le champ d’application du mini-guichet unique MOSS (Mini One Stop Shop) pour les services « TBE » (c’est-à-dire les services de télécommunication, de radiodiffusion et de télévision ou des services électroniques) est étendu et transformé en guichet unique OSS selon trois régimes :
1. Un premier régime permet d’étendre tous les services transfrontaliers à des consommateurs finaux dans l’UE (régime Non-Union pour les services « TBE » fournis par des assujettis non établis dans l’UE).
2. Un second régime permet de soumettre tous les types de services B2C ainsi que le régime des ventes à distance intra-UE de biens et certaines livraisons intérieures de biens facilitées par des interfaces électroniques (régime de l’Union pour les services « TBE » intra-UE). L’extension aux ventes à distance intra-UE de biens va ici de pair avec la suppression du seuil actuel de ventes à distance en vue d’appliquer le principe de taxation à destination pour la TVA.
3. Un troisième régime est enfin créé pour couvrir les ventes à distance de biens importés de pays ou de territoires tiers à des clients situés dans l’UE à concurrence d’un montant de 150 euros (régime d’importation).
Je ne suis pas certain que cette réforme réalise en elle-seule le marché commun mais elle bouleverse de toute évidence les règles en matière de TVA en aménageant la vente à distance au sein de l’Union européenne, en créant ce guichet unique, en définissant de manière générale la notion de vente à distance de bien importé ou en mettant en place une redevabilité propre des plateformes électroniques. Je crois surtout que cette simplification oblige les plateformes électroniques à lutter contre la fraude à la TVA dès lors que ces dernières se voient confier certes une responsabilité propre et plus importante dans la collecte de la TVA mais aussi des obligations de solidarité, de coopération et de communication (V. déjà CJUE, Aff. C-384-04, 11 mai 2006, Commissioners of Customs & Excise et Attorney General contre Federation of Technological Industries e.a). On pourrait donc dire finalement admettre que ces règles axées sur une formalisation et une autonomisation globales en matière de TVA, sont de moyens efficaces de lutte contre la fraude à la TVA. L’avenir nous le dira…
Le partenariat entre les administrations fiscales et ces plateformes posent par ailleurs d’autres questions, notamment en termes de privatisation des contrôles fiscaux et du contrôle des contrôlés : les plateformes-elles-mêmes (V. en ce sens le petit ouvrage militant de Nick Srnicek traduit en français sous le titre : Le capitalisme de plateforme. L’hégémonie de l’économie numérique, et publié à Montréal aux éditions Lux en 2018). D’autres interrogations qui ne manqueront – je n’en doute pas – d’autres discussions et débats.