Revue européenne et internationale de droit fiscal

Questions / réponses à Daniel Gutmann

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Daniel Gutmann
Professeur à l’Ecole de droit de la Sorbonne (Université Paris-1)

1 Y-a- t-il une méthode d’interprétation privilégiée retenue par le juge ?

Les méthodes d’interprétation du droit fiscal utilisées par le juge fiscal sont extrêmement diversifiées. Une question d’interprétation n’est ainsi que rarement résolue par le recours à une méthode unique ; en pratique, le juge combine les différentes méthodes qui lui semblent pertinentes et sa conviction quant à la « bonne » solution à apporter au litige se forme à l’issue d’un processus complexe où les arguments s’entrechoquent ou se confortent mutuellement. En matière de droit interne comme de conventions internationales, le droit fiscal a ainsi clairement pris un « tournant interprétatif » caractérisé par la diversification de ses méthodes d’interprétation et par le développement spectaculaire de considérations d’ordre téléologique et systémique, à rebours du dogme ancien de la prééminence de l’interprétation littérale.

L’étude fait également apparaître que la plupart des méthodes d’interprétation auxquelles recourt le juge sont dépourvues d’effet obligatoire. La question, classique en théorie du droit, de savoir si les méthodes d’interprétation sont elles-mêmes des règles de droit, se résout donc en pratique par le constat que ces méthodes s’apparent le plus souvent à des arguments dotés d’une certaine autorité rationnelle, dont la mise en balance permet in fine d’aboutir à une solution suffisamment motivée.

Par exception à ce qui vient d’être dit, il existe néanmoins deux hypothèses dans lesquelles une méthode d’analyse du texte est véritablement considérée comme contraignante par le juge : celle dans laquelle le texte est clair et celle dans laquelle le texte doit être interprété de telle sorte qu’il soit conforme à une norme de rang hiérarchique supérieur.

2 L’interprétation d’une convention fiscale internationale n’est pas toujours aisée. Faut-il retenir une méthode qui serait particulièrement bien adaptée ?

L’interprétation d’une convention fiscale peut effectivement s’avérer très complexe pour plusieurs raisons.

La première tient au fait que pour interpréter les termes non définis par la convention, l’article 3 § 2 du modèle OCDE commande de s’intéresser à leur sens dans le droit fiscal interne de l’Etat où la convention est appliquée. Cette prescription est toutefois écartée si le « contexte » l’exige, ce qui laisse planer une incertitude sur la nature exacte des situations où le droit interne est évincé au profit d’une interprétation autonome des termes conventionnels.

La deuxième raison à la complexité de l’interprétation en matière de convention fiscale tient au fait que lorsque le renvoi au droit interne ne joue pas, il faut appliquer la méthodologie définie par la Convention de Vienne pour interpréter les traités internationaux. Or, cette méthodologie n’est pas tout à fait identique à celle qui émerge de la jurisprudence du Conseil d’Etat lorsque celui-ci interprète le droit interne. L’article 31 de la Convention de Vienne commande notamment de rechercher le sens ordinaire des mots, l’intention des parties ainsi que l’objet et le but du traité. Ce n’est que si cette étape du raisonnement laisse subsister une ambiguïté que l’article 32 autorise le recours à des éléments complémentaires d’interprétation, en particulier aux travaux préparatoires. La recherche à laquelle invite la Convention de Vienne est particulièrement délicate à opérer, compte tenu de la difficulté pratique à accéder aux travaux préparatoires des conventions bilatérales.

L’enchaînement des phases interprétatives des conventions fiscales présente des points communs avec la méthode d’interprétation du droit interne, laquelle exige de s’interroger sur la « clarté » du texte avant de procéder à l’examen des éléments extrinsèques (travaux préparatoires, objectifs poursuivis etc.) et à la mise en abîme du texte au regard du système dans lequel il s’insère. Néanmoins, il existe bel et bien une autonomie du processus interprétatif pour les conventions fiscales, laquelle consiste à combiner plusieurs méthodes pour respecter les prescriptions de la Convention de Vienne.

3. Que faut-il penser de l’interprétation a contrario ?

Le raisonnement a contrario constitue un exemple typique de raisonnement paré des atours de la logique mais dont le maniement requiert un certain doigté. En théorie, comme l’a bien montré Jean-Louis Bergel, le raisonnement a contrario déduit, d’une opposition dans les hypothèses visées par la règle, une opposition dans les conséquences juridiques produites par chaque hypothèse. Encore faut-il, pour que ce raisonnement puisse se déployer concrètement, que le texte en cause fasse apparaître suffisamment clairement l’opposition dans les hypothèses.

La réponse est aisée en présence d’un texte qui prévoit un principe assorti d’une exception applicable dans des cas limitativement énumérés. En pareil cas, il est en effet clair que si une situation ne figure pas dans la liste exhaustive des cas visés par l’exception, c’est que l’exception ne s’applique pas et qu’il convient de revenir au principe. C’est pourquoi il est souvent affirmé que l’interprétation a contrario n’est recevable à coup sûr que dans ce type de configuration.

Dans d’autres cas, cependant, l’existence d’une opposition dans les hypothèses est beaucoup plus difficile à établir. Considérons par exemple l’article 150 ter du CGI qui prévoit que les profits réalisés par des personnes fiscalement domiciliées en France lors du dénouement de certains instruments financiers à terme sont imposables selon le droit commun. Faut-il nécessairement en déduire a contrario que les non-résidents sont soustraits à toute imposition ? A s’en tenir à la lettre des textes, rien ne l’indique. L’article 150 ter n’énonce pas que « seuls les résidents » sont taxables en France. Et pourtant : les travaux parlementaires relatifs aux différentes moutures de l’article 150 ter démontrent que l’intention du législateur était bien, en faisant référence aux personnes fiscalement domiciliées en France, d’exonérer d’impôt toutes les autres. C’est donc l’histoire du dispositif qui permet de se convaincre que puisque les résidents sont les seuls à être imposables, les non-résidents sont a contrario exonérés. Ainsi, il y a bien (mais de façon implicite seulement) dans l’article 150 ter du CGI une « opposition dans les hypothèses » (résidents vs non-résidents) dont il faut tirer une « opposition dans les conséquences » (imposition vs exonération).

Ce qui précède démontre que l’interprétation a contrario d’un texte ambigu est logiquement irrecevable lorsque le texte interprété ne peut être éclairé par l’analyse de la volonté de ses auteurs. C’est pourquoi d’ailleurs pourquoi l’interprétation a contrario de la doctrine administrative (qui, comme chacun sait, « n’a pas d’esprit ») ne peut être opposée à l’administration en vertu de l’article L 80 A du LPF.

4. Le juge, l’administration, le contribuable et ses conseils, la doctrine notamment universitaire interprètent. Chacun dans son rôle est légitime. Comment s’y retrouver ?

Excellente question ! A mon sens, il faut partir de l’idée que la seule interprétation légitime sur le plan institutionnel est celle qui émane du juge, et plus particulièrement du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation. Je mets volontairement de côté l’interprétation de la loi par le Conseil constitutionnel, car les réserves « d’interprétation » n’ont assez souvent pas grand-chose à voir avec l’interprétation au sens classique du terme dans la mesure où le Conseil constitutionnel n’hésite pas à modifier substantiellement un texte pour le rendre conforme à la Constitution.

Dès l’instant que l’on connaît la méthodologie à laquelle recourt le juge administratif ou judiciaire, il est assez naturel qu’un processus mimétique se mette en place du côté des contribuables et de leurs avocats. Dans une situation contentieuse, le rôle de l’avocat est ainsi de convaincre le juge du bien-fondé d’une interprétation en se plaçant sur son propre terrain méthodologique.

Ceci dit, la pratique de l’interprétation varie selon les circonstances. Ainsi, l’avocat agissant au conseil fait normalement preuve d’une certaine prudence et a tendance, pour protéger son client, à surpondérer les méthodes d’interprétation conduisant à un résultat potentiellement défavorable à celui-ci. Il réfléchit très différemment au contentieux, où l’audace interprétative est parfois récompensée et ne présente pas de risque particulier. A certains égards, cette variabilité peut également être observée du côté de l’administration fiscale, selon qu’elle agit dans le cadre de la rédaction de sa propre doctrine publiée ou qu’elle se situe dans une perspective contentieuse.

Quant à la doctrine universitaire, elle se situe dans un entre-deux. En tant qu’elle se propose d’apporter une contribution impartiale à l’interprétation des normes dans des cas complexes, elle doit emprunter au juge ses outils méthodologiques. Mais les universitaires estiment souvent avoir pour mission d’orienter l’interprétation en proposant des méthodes innovantes ou en critiquant la façon de du juge. Il leur appartient alors de dégager de nouveaux outils de pensée et d’en défendre la légitimité.

Pour ma part, je n’ai pas particulièrement cherché, en écrivant mon ouvrage sur l’interprétation, à modifier les méthodes existantes. J’ai surtout tenté de comprendre la méthodologie réellement utilisée par les juges, d’en rendre compte de façon objective (sans toujours me sentir lié par la présentation que font les juges de leur propre office), d’en proposer par endroits une systématisation voire une rationalisation, et enfin d’esquisser quelques évolutions en germe dans la pratique et le droit actuels.

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