Thierry LAMBERT
Professeur Aix-Marseille Université
Président de l’institut international des sciences fiscales
Rédacteur en chef de la « Revue européenne et internationale de droit fiscal »
Le ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et du numérique vient de lancer une consultation, « en avoir pour mes impôts et l’utilisation qui en est faite ». La démarche interroge et les questions posées nous laissent sans voix.
Florilége :
« De façon générale en prenant en compte les différents impôts (impôts locaux, sur le revenu, TVA etc.) diriez-vous que vous ayez actuellement :
Trop d’impôt
Le juste niveau d’impôt
Pas assez d’impôts
Sans opinion »
« Et pour vous payer des impôts est plutôt un motif de :
Fierté
Indifférence
Résignation
Colère
Rien de tout cela
Sans opinion »
Afin d’éviter les sujets de fâcheries, aucune question n’est posée sur l’impôt sur les grandes fortunes.
« Selon vous, quels sont les trois domaines pour lesquels il faudrait dépenser plus dans les années à venir ? »
« Et toujours selon vous, quels sont les trois domaines dans lesquels il faudrait dépenser moins à l’avenir ? ».
Il s’en suit pour ces deux questions une liste dont les trois premiers les trois derniers éléments sont :
« Le remboursement de la dette
L’armée et la défense
La santé »
Les trois dernières propositions sont :
« L’agriculture
La culture
La jeunesse, les sports, les associations ».
C’est ainsi que vous êtes invité à « donner votre avis sur les impôts et l’utilisation qui en est faite » et d’ajouter « vos réponses permettront de tirer des enseignements pour les prochains budgets ».
Imaginons qu’il soit répondu qu’il faille diminuer les budgets de l’armée et la défense, la santé et le remboursement de la dette et qu’il faille augmenter les budgets de la jeunesse, des sports et des associations. Quel gouvernement va initier une telle politique, en dehors de tout contexte européen et international, qui aura eu les faveurs du sondage ?
Comment peut-on imaginer qu’une politique fiscale et budgétaire soit ainsi établie ?
Nous sommes loin des techniques d’élaboration, dans certaines collectivités locales, des budgets participatifs.
Les questions posées et les réponses attendues traduisent la vacuité du pouvoir concernant les questions fiscales et budgétaires. N’avons-nous plus à ce point aucune idée en matière fiscale à mettre au débat public ? Aujourd’hui, à bas bruits et sans débats, on supprime la fiscalité locale, rendant les collectivités locales un peu plus dépendantes du pouvoir central. Ce n’est pas d’un sondage dont nous avons besoin mais d’un débat, y compris devant les assemblées. La démocratie s’en porterait mieux.
La politique fiscale est et doit être dans le débat public, mais pas sous cette forme. Lors des dernières élections présidentielle et législatives nous avons été privés de débats, notamment fiscaux. Mais une fois en place il appartient au gouvernement, quel qu’il soit, de définir, de présenter et de défendre une politique fiscale. Le rôle du Parlement est d’en discuter, de l’amender et de la contrôler.
La démocratie, qui repose aussi sur la confiance dans nos institutions et notamment parlementaires, ne saurait être réduite aux caprices sondagiers, y compris sur les questions fiscales et budgétaires.