Président de l’Institut international des sciences fiscales (2iSF)
Rédacteur en chef de la « Revue européenne et internationale de droit fiscal »
1 – Comment expliquez- vous que l’OCDE occupe une place aussi importante alors qu’il existe un comité d’experts aux Nations-Unies ?
L’OCDE dispose de ressources documentaires, et notamment statistiques, qui couvrent la planète. Elle a en son sein des compétences variées : économistes, juristes et statisticiens. Enfin elle fait travailler ensemble la haute fonction publique fiscale mondiale. Il faut ajouter une expérience et un savoir faire. Chacun se réfère aux travaux de l’OCDE, nul ne conteste sérieusement les méthodologies utilisées, mais les conclusions et les recommandations peuvent être discutées.
Ses travaux sont « la référence » pour le personnel politique, les responsables des administrations fiscales et financières, les syndicats, les enseignants-chercheurs mais aussi les organisations non gouvernementales qui, en s’appuyant sur eux, peuvent contester une politique fiscale dans son ensemble ou la politique fiscale d’un Etat.
L’organisation a un avis sur tout : la fiscalité du travail, la fiscalité environnementale, les échanges de renseignements à des fins fiscales, la fiscalité des activités extractives, la TVA / TPS, … Elle multiplie les comités, forums et autres lieux de débats en associant le plus largement possible des pays qui n’ont qu’un statut d’observateur en son sein.
Les Nations-Unies, avec son comité d’experts de la coopération internationale en matière fiscale, ont un modèle de convention fiscale concernant les doubles impositions entre pays développés et pays en développement, qui ne remet pas en cause le fait que la convention modèle OCDE est la plus utilisée y compris par des pays en développement. Le comité formule des recommandations destinées aux Etats mais aussi au secrétariat de l’ONU. Les questions débattues, sous le prisme des préoccupations des pays en développement, sont souvent à l’identique de celles traitées par l’OCDE. Celle-ci dans ses travaux, comme dans ses préconisations, a une vision mondiale ce qui la conduit à tenir compte de la situation particulière des pays en développement. Ceux-ci se référent aux travaux de l’OCDE et utilisent ses standards, pensant trouver plus facilement leur place dans le concert des nations.
L’OCDE a un biais parfaitement assumé qui est d’envisager des politiques fiscales d’inspiration libérales, avec une réduction d’impôts qui privilégie l’offre. C’est une véritable théorie générale de l’impôt qu’a construit l’OCDE.
Il n’est pas certain que cette politique convienne à tous les pays en développement, qui cherchent à mobiliser toutes leurs ressources fiscales pour assurer le financement de leurs infrastructures et leur développement.
L’organisation tient sa légitimité de sa compétence mais aussi des rapports qu’elle entretient avec le G20. Celui – ci la mandate afin de formuler des propositions qui n’ont rien de contraignantes. On peut soutenir l’idée qu’il s’agit d’une coproduction entre l’instance politique, le G20, et l’organisation administrative internationale, l’OCDE.
2 – Quels sont les éléments de cette refondation du droit fiscal international et comment l’OCDE arrive – t-elle à ce que ceux-ci soient repris, notamment par l’Union européenne, et par les Etats ?
Depuis 2008 le droit fiscal international fait l’objet d’une refondation. Il y a eu, dès le G20 de Londres en 2009, des initiatives permettant de développer les échanges de renseignements à des fins fiscales. Beaucoup d’Etats ont fait évoluer leur réseau conventionnel en ce sens. L’idée était de lutter contre le secret bancaire. Le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales, créé en 2000 et restructuré en 2009, permet d’examiner les juridictions et territoires, avec un examen par les pairs, et d’analyser à la fois les textes et les pratiques des Etats en matière de transparence. Les Etats ont modifié leurs textes et fait évoluer leurs pratiques.
Puis en 2014 l’OCDE, en collaboration avec les pays membres du G20, a présenté une nouvelle norme d’échanges de renseignements automatiques, qui épouse la loi américaine relative au respect des obligations fiscales concernant les comptes étrangers (loi « FATCA »).
En juin 2012 le G20 a fait connaître son intention de lutter contre l’érosion et le transfert des bases d’imposition. L’OCDE a répondu à cette attente avec un plan en quinze actions, Base Erosion and Profit Shiftin (BEPS). L’idée est de faire que les règles fiscales ne facilitent pas le transfert de bénéfices hors du pays où les activités économiques réelles se déroulent, et où a lieu la création de valeur.
Enfin en 2017 l’OCDE a proposé, aux Etats qui le souhaitent, une Convention multilatérale, négociée en amont avec les Etats et les organisations régionales dont l’Union européenne, pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices. Il s’agit d’actualiser, en même temps, le réseau conventionnel mondial, soit environ 1 600 conventions, et de lutter contre les pratiques abusives et le chalandage fiscal.
En treize ans le droit fiscal international a été profondément modifié. En amont l’OCDE consulte très largement puis élabore des standards minimums mis à la disposition des Etats. La soft law, qui fait très largement la preuve de son efficacité, est devenue une méthode de transformation du droit fiscal international repris, dans un espace régional, notamment celui de l’Union européenne, mais aussi par le droit interne des Etats. Il est un fait que le droit de l’Union européenne comme celui des Etats est très largement impacté par ces dispositifs.
3 – Vous affirmez qu’une politique fiscale communautaire peine à émerger, sauf en matière de TVA pour laquelle on s’achemine vers un régime définitif. Vous considérez que l’Union européenne est le relai de la soft law de l’OCDE. Y-a-t-il, ou pourrait-il y avoir, une politique fiscale communautaire ?
Avec le dispositif du guichet unique de TVA, applicable au 1er juillet 2021, nous allons vers un régime définitif de la TVA après des décennies d’avancées, d’erreurs, d’une jurisprudence très prégnante de la Cour de justice. Nous sommes en train, au regard de la TVA, d’achever le Marché commun.
L’Union européenne relaie un certain nombre d’initiatives de l’OCDE, dont la mise en œuvre de dispositifs de lutte contre l’érosion des bases d’imposition. C’est ce que fait le Conseil quand il adopte une directive dite ATAD 1 (Anti Tax Avoidance Directive) établissant des règles pour lutter contre la pratique d’évasion fiscale qui ont une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur. Quand la Commission adopte un programme visant à renforcer la transparence fiscale, qui se traduit par l’adoption de la directive dite DAC 6 (Directive on Administration Cooperation n°6), elle met ses pas dans ceux de l’OCDE.
La grande affaire de l’assiette commune consolidée, qui nous occupe depuis 2000, n’est toujours pas réglée. La Commission et le Conseil, qui semblent attendre les standards de l’OCDE, ne portent pas de projets prometteurs d’envergure concernant la fiscalité environnementale. L’Union européenne a montré son impuissance concernant la fiscalité des services numériques, laissant les Etats membres partir en ordre dispersé sur le sujet pour, finalement, offrir aux Etats-Unis et à l’OCDE l’opportunité de faire des propositions.
L’Union européenne s’inscrit dans le cadre d’une économie libérale. Les traités qui l’organisent ne sauraient s’en abstraire, par conséquent la concurrence doit être libre et non faussée ce qui conduit notamment à vérifier que les aides fiscales ne viennent pas troubler le marché. La politique fiscale communautaire est une politique d’accompagnement de la liberté de circulation des hommes, des marchandises, des capitaux et des services. La difficulté tient aussi au fait que l’Union n’a pas une compétence exclusive, les Etats membres peuvent avoir une politique fiscale dans le respect du droit de l’Union.
L’Union européenne sait traduire en directives et règlements les quinze actions Base Erosion and Profit Shiftin (BEPS). Il ne fait aucun doute qu’elle accompagnera la mise en place d’un impôt minimum mondial. Faute d’un projet politique affirmé, et d’une vision claire, la Cour de justice continuera de combler les trous laissés par le législateur de l’Union.
4 – Vous considérez que le droit fiscal national fait l’objet d’un rétrécissement en raison de la prise en compte des standards internationaux, non contraignants mais qui finissent dans le droit interne, et de l’intégration du droit fiscal communautaire. Que reste—t – il aux Etats ?
Les Etats s’approprient les standards internationaux. En quelques mois, après 2008, l’échange de renseignements à des fins fiscales est devenue la règle alors que rien ne les obligeait. Les Etats de l’Union européenne transposent dans leur droit interne les directives qui renforcent la transparence. Ceci se fait d’autant plus facilement que les Etats ont négocié, parfois pendant très longtemps, les dispositifs. La jurisprudence communautaire et européenne n’est pas sans influence sur les juridictions nationales, comme sur le législateur, les contribuables et leurs conseils. Dans le respect du droit communautaire les Etats peuvent avoir une politique fiscale. Mais les contraintes sont lourdes et la Cour de justice veille, ce qui limite les ambitions nationales.
On a pensé pendant longtemps, par exemple, que les droits de donations et de successions étaient de la compétence des Etats. L’OCDE vient de nous rappeler que cette fiscalité, telle que pratiquée, n’était pas de nature à réduire les inégalités. On peut penser que ces questions fiscales, à forte charge affective et symbolique, seront sur l’agenda des gouvernants.
La concurrence fiscale, régulée de façon imparfaite dans l’Union européenne, conduit les Etats à se montrer attractifs en cultivant des particularismes territoriaux ou certaines techniques juridiques et fiscales. Mais la signature et la ratification de la Convention multilatérale, même si les Etats peuvent poser des réserves pour s’exonérer de tel ou tel dispositif, devrait réduire les opportunités. De la même façon un impôt minimum mondial de 15%, conjugué au principe de l’imposition des profits dans le pays où ils sont réalisés, va réduire les politiques opportunistes de certains Etats pour attirer la matière imposable.
Historiquement l’impôt et l’Etat sont consubstantiels. Aujourd’hui l’impôt et le monde sont consubstantiels. Le paradoxe est que lever l’impôt est une prérogative de souveraineté nationale alors que l’impôt, pour l’essentiel, est pensé ailleurs que dans l’Etat nation.