(The Conversation, 11 octobre 2021)
Professeur Aix-Marseille Université
Président de l’institut international des sciences fiscales (2iSF)
La liste était déjà longue : Offshore Leaks, Panama Papers, Paradis Papers, LuxLeaks, ou Open Lux. Il faut ajouter Pandora Papers avant certainement d’avoir encore d’autres révélations. Cette nouvelle enquête a été réalisée, comme les précédentes par le Consortium International des journalistes d’investigation (Icij). Les fins limiers ont dépouillé 11,9 millions de documents. La nouveauté, si l’on peut dire, tient au fait que sept présidents et quatre premiers ministres en exercice, un ancien président du Fonds monétaire international et des centaines de responsables politiques sont cités. Le montant des avoirs dissimulés serait de 11 300 milliards de dollars, soit environ 9 400 milliards d’euros.
Les Caraîbes, le Luxembourg, les île Vierges, le Delaware où le président Joe Biden a fait sa carrière restent les territoires sur lesquels la fraude peut s’épanouir. Le secret bancaire conjugué au secret des affaires, les sociétés écrans et les sociétés d’investissement, comme Black Rock, ont pris des positions stratégiques attirant le produit de la fraude et de tous les trafics. La financiarisation des économies facilite les opérations.
Des choses ont été faites.
Il serait faux de considérer que rien n’a été fait depuis la crise de 2008. Les différents G20, depuis celui de Londres du 2 avril 2009, expriment avec constance une volonté politique de renforcer l’échange d’informations à des fins fiscales dans un souci de transparence mais aussi de combattre l’érosion des bases d’imposition, ou encore de contrarier l’utilisation abusive des conventions fiscales qui conduit certains contribuables ingénieux à être en situation de double non-imposition. L’échange automatique de renseignements est une réalité. A l’initiative de l’OCDE, depuis 2018, une norme commune de déclaration (NCD) a permis d’échanger des renseignements sur 47 millions de comptes à l’étranger, pour une valeur totale de 4 900 milliards d’euros. L’initiative d’échange automatique de renseignements, inscrit dans 4 500 conventions fiscales bilatérales, représente un mouvement d’échanges d’informations sans précédent. Tout ceci ne doit pas être sans conséquence sur le contrôle fiscal et les recettes publiques qui, notamment, financent des services et participent à la vie économique du pays.
Des choses se font.
A la demande du G20, l’OCDE a conçu un plan d’ensemble cohérent avec quinze actions Base Erosion and Profit Shifting (BEPS), et le cadre inclusif de la Convention multilatérale, pour la mise en oeuvre de mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et des transferts de bénéfices vers des Etats à fiscalité privilégiée et où, généralement, le secret sous toutes ses formes est cultivé. Il s’agit clairement de lutter contre le chalandage fiscal, le « treaty shopping », qui fait partie de l’ingénierie fiscale avec une utilisation abusive des conventions fiscales, exercice très prisé par certains, qui, bien conduit, nous place dans la zone grise de l’évasion, avec très souvent comme résultat une double non-imposition. Autrement dit le profit, le produit, n’est ni taxé dans le pays de la source ni dans le pays de destination où il sera appréhendé.
La Convention multilatérale permet de lutter contre la manipulation habile des prix de transfert, répond aux nouvelles problématiques de l’établissement stable notamment dans le domaine du numérique, neutralise les « hybrides » qui sont des montages qui aboutissent à la double non-imposition.
Les Etats signataires ont la possibilité de poser des réserves faisant qu’une partie de la Convention peut ne pas être appliquée. Il est possible que les standards proposés soient déjà dans le droit interne de l’Etat, ce qui rend inutile le dispositif de la Convention ou que l’Etat ne souhaite pas faire application d’une partie de la Convention pour des rairons de principe. Par exemple la Chine a posé des réserves sur toute la partie de la Convention ayant trait à l’arbitrage car elle considère que cette « justice privée » porte atteinte à sa souveraineté. Cette position de principe dépasse la question fiscale. On peut penser qu’au fil du temps, dans une période plus ou moins longue, les réserves soient levées.
Les Etats qui ont signé la Convention, ont envoyé un message politique fort mais pour beaucoup d’entre eux, celle-ci n’est pas encore ratifiée, notamment par les Parlements nationaux ce qui peut poser, pour certains, un problème politique.
Il est trop tôt pour porter un jugement définitif sur la mise en oeuvre de la Convention. Laissons le temps aux Etats d’intégrer les nouvelles dispositions dans leur droit conventionnel, de modifier éventuellement leur droit interne et leurs pratiques administratives.
Des choses à faire
Il faut très certainement travailler sur les outils juridiques utilisés et sur lesquels le droit fiscal se greffe. Comment rendre plus transparentes, sauf à les interdire, les sociétés écrans qui dissimulent le ou les bénéficiaires effectifs d’une distribution de bénéfices ? Comment faire pour que les sociétés d’investissements dévoilent, un plus qu’elles ne le font, les personnes physiques et morales qui y participent. Il faut profondément modifier le droit des sociétés, le droit bancaire et le droit des affaires qui sont pour l’essentiel des droits d’abord nationaux. Tout ceci n’a de sens que si le chantier est ouvert au niveau mondial. On devine les difficultés juridiques, bien réelles, mais qui pourraient être surmontées avec une volonté politique d’aboutir, mais aussi les résistances et les oppositions de ceux qui, aujourd’hui, vivent du système.
On peut aussi renforcer les exigences de transparence, ce qui se fait par vagues successives depuis 2008. Mais il pourrait être utile que les administrations fiscales nationales soient plus réactives. L’utilisation du droit du pays requis et la mobilisation des administrations suivant les pratiques nationales peuvent s’avérer être des obstacles à la lutte contre la fraude. Il est indispensable d’alléger les procédures et de rendre plus fluides les échanges. L’harmonisation des procédures d’investigation et de contrôle faciliterait la lutte contre la fraude. Nous en sommes loin.
Il faut repenser les sanctions applicables en interdisant toute forme de transaction, ou convention judiciaire d’intérêt public, qui permet de négocier les amendes et pénalités. La privation des droits civiques et rendre public les noms et qualités des fraudeurs pourraient être mis en œuvre. L’interdiction d’accès aux marchés publics deviendrait la règle.
Un pas vient d’être fait avec un impôt minium mondial à 15%. A ce jour 136 pays, dont l’Irlande, en ont accepté le principe. L’idée est d’avoir une taxation pays par pays, sans compensation possible entre les entités. Autrement dit le profit réalisé en Espagne sera imposé dans ce pays, sans compensation avec une perte générée en Italie. Cette solution évite qu’avec des montages, aussi sophistiqués qu’artificiels, les multinationales aillent loger leurs profits dans des Etats particulièrement attractifs. C’est toute l’architecture mondiale de la fiscalité qui se trouve affectée.
De nouvelles révélations ?
Il est probable que le Consortium de journalistes publie de nouvelles révélations quant à la fraude fiscale internationale, mais pour des opérations qui, de facto, seront antérieures à la Convention multilatérale et à la mise en place d’un impôt mondial, ce qui donne le sentiment que rien n’a été fait dans une période récente. Si l’on comprend l’impatience de certains, il faut néanmoins laisser un peu de temps aux Etats afin qu’ils s’approprient la Convention multilatérale et qu’ils mettent en place l’impôt mondial. Une fois la chose faite on ne peut pas exclure qu’il reste quelques trous dans la raquette mais peut être seront – ils moins nombreux et plus petits.
Le 10 octobre 2021