Le Tribunal administratif de Paris a rendu le 12 juillet 2017 quatre jugements dans ce qu’on pourrait appeler l’affaire GOOGLE, qui portaient sur des rappels d’impôt sur les sociétés, la TVA, la CFE et les retenues à la source. Il ne s’agit qu’un volet de cette affaire puisque le parquet national financier a ouvert en juin 2015 une enquête préliminaire pour fraude fiscale aggravée et blanchiment en bande organisée de fraude fiscale aggravée visant GOOGLE.
Ces jugements ne constituent certainement qu’une étape dans ce contentieux fiscal puisque le Ministre de l’Action et des Comptes Publics a décidé de faire appel devant la Cour administrative de Paris contre ces quatre jugements. Il est prématuré d’anticiper la solution que pourra retenir la Cour voire le Conseil d’Etat si celui-ci était saisi dans le cadre d’un pourvoi en cassation.
Cette note a simplement pour objet de souligner certains points qui apparaissent dans ce dossier à ce stade et qui sont une caractéristique du comportement de nos concitoyens.
La société GOOGLE, comme beaucoup d’autres multinationales mais également de simples créateurs de start-up (1), prend en compte les aspects économiques, juridiques et fiscaux dans leur schéma d’organisation de façon à réduire les coûts comme n’importe quel consommateur qui souhaite acquérir le meilleur produit au prix le plus faible sans s’interroger sur les éléments qui permettent à l’entreprise de proposer un tel prix.
Ces schémas d’organisation peuvent les conduire à installer le siège européen dans un pays, et des entités opérationnelles dans d’autres pays qui ont vocation à intervenir dans une zone plus réduite pour capter les consommateurs. L’implantation de ces structures repose notamment sur des considérations géographiques (position centrale du pays), linguistiques et aussi fiscales (pays à faible taux d’imposition). Il y a ainsi des relations entre les clients finaux, les entités opérationnelles et le siège européen. Celles-ci vont dépendre des contrats unissant ces différentes parties, serons-nous face à des contrats de ventes ou à des prestations de services ? Les situations sont différentes.
Lorsque l’entreprise commercialise des marchandises, il y a inévitablement un flux physique de marchandises qui se déplace. Il est relativement facile de démontrer l’existence d’un cycle commercial complet ou d’un établissement stable. Une personne physique achète des marchandises auprès de fournisseurs français et les revend sur une place de marché dans une ville aux consommateurs qui viennent à son stand. L’achat des marchandises suivi de leur commercialisation sur une place de marché intervient en France physiquement. Les profits de cette entreprise exploitée en France sont soumis à l’impôt français. Cette situation est transposable aux sites de e-commerce. Les marchandises sont entreposées dans des lieux de stockage en France et partent directement chez le client. Le siège est situé en France et les profits sont là encore soumis à l’impôt français. Il pourrait être tentant de localiser l’entrepôt dans un autre Etat tout en commercialisant les produits en France de façon à ce qu’il n’y ait pas d’établissement stable en France. Cette situation est courante. Il suffit de se rendre sur certains sites internet du type Amazon ou FNAC où l’on peut trouver des produits supposés identiques à des prix inférieurs et commercialisés par des sociétés implantées dans d’autres pays. Ici, il ne s’agit pas d’un simple problème fiscal mais plus général. Nous nous trouvons souvent face à des produits contrefaits.
On constate ainsi que les problèmes apparaissent dès lors que le commerce numérique est en cause. La situation se complexifie encore en présence de services immatériels. On ne peut plus se raccrocher aux éléments matériels de la marchandise. Un consommateur télécharge un fichier moyennant le paiement d’un prix et peut écouter de la musique ou faire toute sorte d’activité. On peut aussi concevoir de la publicité insérée sur des pages d’un site internet. Ces situations peuvent-elles être qualifiées de cycle commercial complet ou d’établissement stable ?
L’administration fiscale française a diligenté des contrôles fiscaux à l’encontre de ces sociétés internet et notamment contre les entreprises faisant partie de ce que l’on dénomme les « GAFA ».
L’administration fiscale entendait faire œuvre de pédagogie vis-à-vis de ces entreprises, comme lorsqu’elle décide de déposer plainte pour fraude fiscale à l’encontre d’un contribuable exerçant une profession dite à risque ou qui doit se montrer exemplaire comme un notaire qui oublierait de déposer ses déclarations d’impôt sur la fortune ou d’un expert-comptable qui ne reverserait pas la TVA.
L’administration avait relevé des éléments dans le dossier GOOGLE caractérisant l’existence d’un établissement stable en France. La société de droit irlandais GOOGLE Ireland Limited, ayant son siège social à Dublin, exerçait en France une activité professionnelle de vente de publicité par l’intermédiaire d’un établissement stable. Elle avait également constaté qu’aux termes d’un contrat tripartite, entré en vigueur, le 1er janvier 2004, la société GOOGLE Ireland Limited versait des redevances à la société GOOGLE Netherlands Holding, ayant son siège social aux Pays-Bas, laquelle en reversait l’essentiel à la société GOOGLE Ireland Holding, domiciliée aux Bermudes et propriétaire en Europe des droits incorporels de la société américaine GOOGLE Inc.
En février 2016, le ministre des Finances Michel Sapin avait indiqué dans un entretien au Figaro que « la France n’était pas dans une logique de négociation » mais plutôt « dans une logique de mise en œuvre des règles applicables ». Le ministre entendait obtenir le paiement de la somme globale de 1,115 milliards d’euros à comparer aux 306 millions d’euros obtenus par l’Italie ou encore les 171 millions versés au Royaume-Uni. Ces sommes avaient été considérées comme dérisoires par les autorités françaises. Les autorités politiques et administratives françaises entendaient obtenir une somme beaucoup plus élevée, obnubilée par leur volonté de « faire plier » les GAFA à la manière d’Astérix, quitte à faire une application très extensive des règles juridiques.
Le Tribunal administratif de Paris a refusé de considérer qu’il y avait un établissement stable en France. Une personne résidente de France contrôlée par une société résidente d’Irlande ne peut constituer un établissement stable de cette dernière que si elle ne peut être considérée comme un agent indépendant de la société résidente d’Irlande et si elle exerce habituellement en France des pouvoirs lui permettant d’engager cette solution dans une relation commerciale ayant trait aux opérations constituant des activités propres de cette société.
Les jugements du Tribunal administratif de Paris ont ramené les autorités françaises à la réalité. Certes, des députés ont crié au scandale comme Erice Bocquet (2) ou Eva Joly (3) à la suite de ces décisions. Il ne s’agit pas non plus de remettre en cause la qualité professionnelle des agents de l’administration fiscale et de considérer que « GOOGLE a des moyens illimités pour endurer de longs et coûteux procès, ils ont les meilleurs juristes et fiscalistes » (4). Les conseils de GOOGLE, comme d’autres, utilisent simplement des contrats qui sont à la disposition de toutes les entreprises et des particuliers dans le but de créer la situation juridique la moins coûteuse en termes d’impôt à payer. C’est une pratique ancienne (5). Il appartient aux agents de l’administration de vérifier que les entreprises et les particuliers ont bien acquitté les impôts qu’ils étaient obligés de payer compte tenu de leur situation juridique et de la remettre en cause s’il y a un abus de droit. Conscient de la fragilité de la position défendue par l’administration, le ministre a proposé à la société GOOGLE de négocier en vue de conclure une transaction.
Cette pratique est prévue par le Livre des procédures fiscales. L’article L. 247 du Livre des procédures fiscales prévoit que « L’administration peut accorder sur la demande du contribuable (…) des remises totales ou partielles d’amendes fiscales ou de majorations d’impôts lorsque ces pénalités et, le cas échéant, les impositions auxquelles elles s’ajoutent sont définitives ». Une transaction est également possible lorsque les impositions ne sont pas encore mises en recouvrement. En revanche, un tel accord est impossible lorsque l’administration envisage l’engagement de poursuites à l’encontre du contribuable pour un délit prévu par le code général des impôts.
Dans la situation d’une transaction, le contribuable et l’administration signent un document par lequel le premier reconnait le bienfondé de l’imposition et s’engage à payer et à ne pas procéder par la suite à un contentieux et la seconde en contrepartie abandonne totalement ou partiellement les majorations appliquées. De plus, lorsque les sommes en litige sont importantes, les textes prévoient l’intervention d’un comité.
Le ministre des Comptes Publics est conscient du risque pour l’Etat de perdre l’intégralité de la somme de 1,115 milliards d’euros. N’est-il pas plus judicieux alors d’essayer d’obtenir le paiement des droits et de l’intérêt de retard plutôt que de tout perdre en continuant un contentieux très incertain? Les majorations appliquées dans ce dossier seraient abandonnées en totalité ou partiellement.
Les magistrats du Tribunal administratif de Paris avaient conscience de la sensibilité des autorités et des citoyens s’ils étaient amenés à considérer que l’administration fiscale française ne pouvait pas juridiquement imposer la société GOOGLE en France et lui faire payer plus de 1 milliard d’euros, montant très symbolique. Cette décision ne serait pas comprise et acceptée. Dans ses conclusions, le rapporteur public avait énoncé publiquement que « la présente affaire révèle les carences de la base juridique actuelle ». La formation de jugement a refusé d’accorder au contribuable le versement d’une quelconque somme au titre des frais exposés par le contribuable et non compris dans les dépens compte tenu des « circonstances particulières de l’espèce ».
On retrouve dans le débat public ce moralisme que devrait revêtir le droit fiscal. Les journaux mettent en parallèle le montant déclaré du chiffre d’affaires 2015 par la société GOOGLE France, soit 248 millions d’euros, et le montant des « revenus réels » estimés à près de 2 milliards d’euros. La société française n’a payé que 6,7 millions d’euros d’impôt sur les sociétés (6). Pour beaucoup de contribuables, ces chiffres laissent au moins perplexes. On peut faire aussi référence aux « évadés fiscaux » qui étaient titulaires de comptes ouverts principalement en Suisse. Un certain nombre d’entre eux étaient à l’origine de ces transferts de fonds constitutifs d’évasion fiscale. Mais beaucoup d’entre eux étaient de simples héritiers qui avaient laissé ces comptes ouverts simplement parce qu’ils ne savaient pas comment les clôturer et rapatrier les fonds en France au décès de leur parent. Ils apprenaient souvent cette existence quelques temps plus tard Le montant des avoirs de ces « petits comptes » était peu important. L’administration a recouvré les sommes les plus importantes et doit traiter maintenant en 2017 ces « petits comptes » alors que les dossiers ont pu avoir été déposés en 2014, soit il y a plus de trois ans. On peut s’interroger sur le gain financier généré par ces « petits comptes » compte tenu du temps passé par les agents pour les traiter.
De plus, on reproche à GOOGLE d’avoir rattaché à la société irlandaise des recettes publicitaires qui auraient dû être déclarées en France par la société française. En effet le moteur de recherche et le site You tube génèrent des recettes publicitaires puisque les internautes les consultent. Souvent les personnes qui contestent ces pratiques et celles qui consultent ces sites sont souvent les mêmes. Elles sont à la fois des électrices et des consommatrices. Il existe un moyen pour inciter ces sociétés à respecter les règles fiscales existantes : les consommateurs citoyens français et européens plus généralement ne pourraient-ils pas organiser un mouvement de boycott de ces sites ? De cette façon, la perte des recettes publicitaires obligerait GOOGLE à modifier ses pratiques fiscales. On pourrait aussi envisager une baisse des taux de l’impôt pour dissuader ces sociétés de l’internet de pratiquer ce genre de découpage de leur activité. Il ne faut pas oublier que de telles sociétés se créent un avantage concurrentiel par rapport aux autres entreprises installées dans l’hexagone qui, elles, supportent les impôts aux taux en vigueur dans le code général des impôts sur la totalité de leurs profits. En revanche, la perspective d’un accord international pour modifier les règles fiscales existantes apparaît très incertaine.
André LEFEUVRE
Avocat spécialisé en droit fiscal
Docteur en droit
Ancien élève de l’école nationale des impôts
Chargé d’enseignements à la faculté de droit de Nantes
(1) Combien de jeunes créateurs m’ont interrogé dans le cadre de mon activité professionnelle d’avocat pour connaître les « avantages fiscaux » d’une localisation en Irlande tout en continuant à exercer la même activité en France.
(2) Eric Bocquet s’est ainsi écrié « le message, il est clair, c’est Gafa, vous pouvez éviter de payer l’impôt ! » Libération 25 juillet 2017.
(3) Challenge 13 juillet 2017.
(4) Libération 25 juillet 2017, propos tenus par Monsieur Eric Vernier.
(5) J. Schmidt, Les choix fiscaux des contribuables, Dalloz 1974, chron.
(6) Le Parisien 13 juillet 2017.