LES REGIMES FISCAUX DEROGATOIRES EN ALGERIE
La pression fiscale qui pèse sur les entreprises et les particuliers fait l’objet d’un débat intense dans beaucoup de pays et notamment en France depuis quelques mois.
En Algérie ce débat n’apparait pas sous la même ampleur d’autant qu’il n’est pas aussi médiatisé qu’en France. Ceci est dû au fait que la pression fiscale n’y est pas extrêmement élevée même si des voix s’élèvent contre certaines impositions dont les auteurs estiment, à tort ou à raison, qu’elles devraient à défaut d’être supprimées être moins élevées. On peut citer à cet égard la taxe sur l’activité professionnelle (TAP) qui est constamment décriée par les organisations patronales au motif qu’elle est, bien que classée dans les impôts directs, calculée sur le chiffre d’affaires et que ce faisant elle devrait être, selon elles, supprimée ou à tout le moins être basculée vers la TVA et donc être supportée par le consommateur final.
De même les représentants des retraités réclament depuis des années l’exonération pure et simple de leur pension en prétextant que leurs salaires ont été suffisamment imposés tout au long de leur carrière professionnelle.
Au-delà de ces quelques requêtes, au demeurant limitées, la majorité des contribuables ne s’élève pas contre la pression fiscale. Cela ne veut pas dire que ces contribuables soient entièrement satisfaits du système fiscal et des procédures mises en œuvre. Ils sont davantage critiques vis-à-vis du contrôle qu’ils subissent de manière parfois injuste et aussi des contraintes liées à la gestion de l’impôt ainsi que des lourdeurs et de la lenteur du contentieux qui en outre se termine bien souvent à l’avantage de l’administration.
Sur le plan des régimes fiscaux applicables le législateur accorde des facilitations assez substantielles en faveur des nouveaux investisseurs. En outre il apporte progressivement des simplifications au profit de certaines catégories professionnelles ainsi qu’à l’égard de l’imposition de certains revenus.
La problématique qui se pose est de savoir, d’une part, si le incitations fiscales accordées par l’Etat produisent des effets positifs dans les sens d’une attractivité réelle des investisseurs potentiels aussi bien nationaux qu’étrangers (IDE), d’autre part, si les simplifications introduites dans les lois de finances ne créent pas des disparités entre tous les contribuables.
I- L’attractivité par l’impôt
A. A travers le code des investissements
C’est un instrument dont se sert un pays pour encourager la création d’investissements par les nationaux et les étrangers (IDE). Pour ce faire le législateur prévoit donc des incitations fiscales qui se traduisent par des exonérations généralement temporaires. En effet ces exonérations visent pour l’essentiel le non-paiement de l’impôt sur le bénéfice par l’investisseur pendant les premières années à compter de la date de mise en exploitation dont la durée dépend parfois du secteur dans lequel l’investissement est créé ou bien du lieu géographique de son implantation.
En Algérie les avantages fiscaux sont prévus par l’ordonnance n°01-03 du 20 août 2001 relative au développement de l’investissement qui a été modifiée et complétée à maintes reprises. Ils sont fixés au titre de la phase de réalisation (a) et au titre de la phase d’exploitation (b).
a. Au titre de la phase de réalisation
Les avantages fiscaux visent trois catégories de prélèvements obligatoires. Il s’agit des droits de douane qui sont exonérés sur les biens d’équipement importés et qui entrent directement dans la réalisation de l’investissement. Les mêmes biens bénéficient de la franchise de TVA. Par ailleurs toutes les acquisitions immobilières sont exemptées du droit de mutation à titre onéreux.
En ce qui concerne les zones dont le développement nécessite une contribution particulière de l’Etat, on y ajoute une application modérée des droits d’enregistrement pour les actes constitutifs de sociétés et les augmentations de capital qui est fixé à deux pour mille (2%0).
Les investisseurs se voient donc exemptés au moment de la réalisation de leur investissement d’un fardeau fiscal important, qui, s’il était mis en œuvre, obérerait sensiblement leur trésorerie.
Ainsi la dispense du paiement du droit de mutation, des droits de douane à l’importation et de la TVA a pour finalité d’alléger les contraintes financières qui pèsent sur l’investisseur.
Mais il faut relever que la franchise de TVA durant la phase de réalisation de l’investissement pour l’acquisition d’un matériel ou d’un bien d’équipement n’est pas stricto sensu une exonération définitive mais une « suspension » de taxe. En effet les biens ou produits fabriqués au moment de l’exploitation de l’investissement subiront la TVA qui sera payée ultérieurement avec une déduction nulle relativement aux biens d’équipement achetés en franchise de cette même taxe.
b. Au titre de la phase d’exploitation
L’idée d’accorder des avantages fiscaux durant la phase de réalisation s’étend à la phase d’exploitation et procède de la même motivation, celle de ne pas aggraver la situation financière de l’investisseur déjà fragilisée par le déboursement de sommes importantes pour la construction d’infrastructures et l’acquisition de biens d’équipement nécessaires à la réalisation de son investissement extrêmement couteux. Cependant les avantages octroyés à partir de l’exploitation sont d’une autre nature parce qu’ils visent le revenu réalisé.
En ce qui concerne le chiffre d’affaires, il n’y a pas d’exonération de TVA dans la mesure où celle-ci ne reste pas à la charge de l’entreprise puisqu’elle est répercutée et supportée en définitive par le consommateur final.
Pour ce qui est des impôts sur le bénéfice, l’exonération n’a pas un caractère définitif mais temporaire.
C’est ainsi que l’investisseur bénéficie, selon le régime général lié aux avantages fiscaux, d’une exonération de trois (3) ans à compter de l’entrée en activité dûment constatée et ce, au titre de l’impôt sur les bénéfices des sociétés (IBS) et de la taxe sur l’activité professionnelle (TAP). La durée peut, suivant le régime dérogatoire lié aux avantages fiscaux être supérieure à trois ans et atteindre dix (10) ans lorsque les investissements sont réalisés dans les zones dont le développement nécessite une contribution particulière de l’Etat comme cela a été indiqué précédemment.
Il est à remarquer que les personnes physiques sont exclues du champ d’application de l’ordonnance portant code des investissements puisqu’à aucun moment il n’y est fait référence sachant que l’impôt auquel ces personnes sont soumises est l’impôt sur le revenu global (IRG). Cette exclusion est sans doute volontaire de la part du législateur dans la mesure où il a l’intention d’obliger toute personne désireuse d’obtenir des avantages fiscaux lors de la création d’un investissement de se constituer au préalable soit en société par actions (SPA) soit en société à responsabilité limitée (SARL).
B. L’exonération temporaire ou permanente prévue par le code des impôts directs
Certaines activités sont exonérées de façon temporaire (a) d’autres de manière permanente (b).
a. L’exonération temporaire
Ce type d’exonérations touche les personnes physiques et les personnes morales comme par exemple les jeunes promoteurs d’investissements qui bénéficient, selon le cas, d’une exonération totale de l’IRG ou de l’IBS pour une période de trois (3) ans à compter de la date de mise en exploitation de leur entreprise.
Cette exonération est portée à six (6) ans lorsque l’activité est exercée dans une zone à promouvoir. Une période de deux (2) ans y ajoutée lorsque le jeune promoteur s’engage à recruter au moins trois employés à durée indéterminée.
Une exonération temporaire de l’IBS est également octroyée aux entreprises touristiques pour une période de dix (10) ans et aux sociétés de capital risque pour une durée de cinq (5) ans.
b. L’exonération permanente
Ce genre d’exonération prévue par le législateur dans le code des impôts directs et tant qu’il n’y apporte pas de modifications, est limité à certaines activités ou opérations. Parmi les opérations les plus significatives sur le plan économique il y a lieu de citer celles liées à l’exportation. En effet les opérations de vente et de services destinés à l’exportation, sauf celles effectuées par les compagnies de transport terrestre, maritime et aériens ainsi que celles des compagnies de réassurances et des banques, sont exonérées de l’IBS.
C. L’atténuation du prélèvement pour les personnes morales
Lorsqu’une société distribue des dividendes à ses actionnaires qui sont des personnes physiques, l’impôt s’applique sur ces dividendes alors même qu’ils ont fait partie d’un bénéfice qui a été déjà imposé. Il s’agit en l’occurrence d’une double imposition économique qui est cependant atténuée par le fait que l’imposition effectuée à la source est forfaitaire et libératoire soit 10% pour les personnes résidentes et 15% pour les non-résidentes. Pour les dividendes dont bénéficient les personnes morales, ils sont purement et simplement dispensés de l’impôt.
II- la remise en cause partielle de la globalisation des revenus des personnes physiques
La réforme fiscale de 1992 avait pour objectif d’abandonner le système cédulaire pour le remplacer par un impôt unique sur le revenu des personnes physiques et par un impôt sur les sociétés.
Pour ce qui est de l’impôt des personnes physiques (impôt sur le revenu global (IRG)), il s’agissait de rassembler en un seul lieu, le domicile en l’occurrence, l’ensemble des revenus d’une personne physique quelle que soit leur source. L’intérêt de ce rassemblement pour le trésor est que plus le montant des revenus est élevé plus le montant de l’impôt est plus important dès lors qu’il s’agit d’un prélèvement progressif.
Cependant on observe depuis un certain nombre d’années que l’IRG en question subit une sorte d’amenuisement soit par l’extraction de revenus de son champ d’application soit par des impositions libératoires avec la remise en cause de la progressivité.
A. L’impôt forfaitaire unique à taux proportionnel
La loi de finances pour 2007 a introduit un nouvel impôt forfaitaire qui s’intitule « L’impôt forfaitaire unique (l’IFU) » qui remplace l’IRG, la TVA et la TAP.
a. Le champ d’application de l’impôt forfaitaire unique
Cet impôt forfaitaire unique s’applique aux personnes physiques dont le chiffre d’affaire annuel n’excède pas dix millions de DA. Ces personnes sont celles :
– dont le commerce principal est de vendre des marchandises et des objets y compris les artisans exerçant une activité artisanale artistique ;
– exerçant les autres activités et prestations de services relevant de la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux;
-qui exercent simultanément des activités relevant des deux catégories susvisées.
b. Les opérations et personnes exclues de l’IFU
L’impôt forfaitaire unique ne s’applique pas aux opérations importantes telles que par exemple les opérations de vente faites en gros, les opérations de vente faites par les concessionnaires, les grandes surfaces, les chantiers de constructions etc…
c. La détermination de l’impôt
L’évaluation pour chacune des années de la période forfaitaire qui est de deux ans, est déterminée d’un commun accord entre l’administration et le contribuable mais l’avis de l’administration est souvent prépondérant.
d. Le taux de l’impôt
– 12%, applicable à l’activité de prestation de services
– 5%, applicable à l’activité d’achat-revente.
– 5 000 DA qui est un minimum d’imposition pour les contribuables exonérés de l’IFU.
B. Le maintien d’autres impôts dans le champ d’application de l’IRG avec des taux proportionnels
a. L’imposition des professions non commerciales
Les bénéfices des professions libérales dans lesquelles l’aspect intellectuel est prépondérant relèvent de la catégorie des bénéfices non commerciaux. Ce sont les médecins, avocats, chirurgiens-dentistes, vétérinaires, architectes, conseils juridiques, conseils fiscaux, experts comptables, etc.
L’impôt qui leur est réclamé chaque année lors du dépôt de la déclaration sur un exercice donné, est calculé sur le bénéfice net au taux proportionnel de 20% libératoire.
Certains autres revenus relevant de la catégorie des BNC sont soumis à une retenue à la source qui est opérée sur les montants bruts des revenus taxables. Ces derniers sont ceux versés par des débiteurs établis en Algérie au profit de bénéficiaires non domiciliés en Algérie à l’occasion d’une prestation de service telle que par exemple des études. Le taux applicable est de 24% libératoire.
b. Le régime simplifié
Il s’applique aux contribuables dont le chiffre annuel dépasse 10 millions de DA et n’excédant pas 30 millions de DA, donc entre l’impôt forfaitaire unique et le régime du bénéfice réel.
Le mode de détermination du bénéfice est identique à celui du régime du bénéfice réel sauf que les documents fournis par le contribuable sont simplifiés. Le taux proportionnel d’IRG exigé pour ces contribuables est de 20% libératoire.
c. L’imposition des revenus au titre d’une location
Le produit de la location de biens immobiliers, tels par exemple un logement, est soumis à un IRG à un taux proportionnel de 7% libératoire. Le produit de la location d’un fonds de commerce est également soumis à un IRG au taux proportionnel qui est de 15% libératoire.
d. L’imposition des capitaux mobiliers
A l’exception des intérêts provenant d’un placement d’argent à titre nominatif qui fait l’objet certes d’une imposition de 10% retenue à la source mais qui sert de crédit d’impôt pour une imposition globale lors de la déclaration, les autres prélèvements sont soumis à un taux d’IRG proportionnel libératoire. Il s’agit en l’espèce des produits des titres anonymes ou au porteur qui sont passibles d’un IRG à taux proportionnel de 50%. D’autres prélèvements sont soumis à un IRG à taux proportionnel comme par exemple les dividendes perçus par les personnes physiques de la part de sociétés au sein desquelles elles détiennent des actions.
Conclusion
En ce qui concerne les incitations fiscales, peut-on dire qu’elles atteignent leur objectif ? De nombreux analystes estiment que les nouveaux entrepreneurs ou investisseurs sont davantage préoccupés par la transparence des textes, la stabilité et la sécurité juridiques.
Pour ce qui est de l’impôt sur le revenu global (IRG) la situation actuelle pose deux problèmes : un problème de forme et un problème de fond.
Sur le plan formel, à l’évidence cet impôt ne devrait plus porter ce nom dans la mesure où il n’est plus totalement global puisque dans certains cas il ne s’appliquerait pas à l’ensemble des revenus réalisés par une même personne physique. En effet l’IRG voit une partie des revenus ne plus relever de son périmètre.
Sur le fond, en raison des impositions faites pour un certain nombre de revenus à titre libératoire et qui plus est à des taux proportionnels, l’IRG perd partiellement son caractère d’impôt progressif.
Ahmed SADOUDI
– Ancien directeur du budget
– Ancien directeur des études et de la législation fiscale
– Avocat – Alger (Algérie)