La confiance est sur toutes les lèvres, sous toutes les plumes. Elle est comme un leitmotiv politique, une donnée de l’économie, une aspiration des ménages, une nécessité pour les entreprises et depuis quelques temps un objectif pour la DGFiP, qui souhaite instaurer une relation de confiance avec les entreprises.
Cette aspiration récente de la DGFiP puise ses sources dans « enhanced relationship » ou « relation approfondie » définie par l’OCDE en 2008 et fondée sur la coopération et la confiance entre l’administration fiscale et les entreprises.
En référence aux travaux de l’OCDE, le rapport Fouquet (2)sur la sécurité juridique fiscale proposait également en 2008 (1) de développer une relation suivie de confiance entre l’administration et les contribuables, et notamment d’expérimenter une « relation approfondie » de transparence réciproque avec de grandes entreprises (3).
Aujourd’hui, en France (4), elle s’exprime notamment à travers le protocole de coopération en vue d’une revue contradictoire de la situation fiscale de l’entreprise, appelée également relation de confiance, et mis en place le 1er juillet 2013, pour une période d’expérimentation de deux ans.
Ce n’est sans doute pas la seule expression du positionnement de la relation contribuable/administration sous l’égide de la confiance. La référence à cette notion témoigne d’une volonté de l’administration de faire évoluer sa relation avec le contribuable (I). A cet égard, la DGFiP nous propose une définition bien à elle de la confiance (II), une définition qui n’est pas sans rappeler celle à laquelle la science de gestion fait référence (III).
I – Les signes de l’évolution de la relation administration/contribuable
Depuis quelques années, la DGFiP fait évoluer sa relation avec le contribuable vers plus de confiance. C’est à la fois une nécessité et un objectif en soi. C’est une nécessité car la confiance est une condition du consentement à l’impôt, qui n’est pas cristallisé dans le cadre institutionnel décrit par l’article 14 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. Les contribuables disposant d’un large panel de mesures leur permettant d’esquiver l’impôt, ce consentement à l’impôt doit être réactivé : c’est l’une des missions assignées à la confiance. C’est également un objectif en soi, car la confiance constitue une alternative, a priori, moins couteuse que les méthodes répressives ou coercitives permettant de s’assurer du respect par le contribuable de ses obligations. A cet égard, la confiance apparaît comme un facteur déterminant du consentement à l’impôt, et du civisme fiscal.
Bien avant la revue contradictoire de situation fiscale proposée en 2013, a été mise en place dès 2005 la Charte Copé (non contraignante juridiquement), qui met en parallèle droits et devoirs du contribuable et de l’administration fiscale. Cette Charte, qui a vocation à concerner tous les contribuables, annonce les prémisses d’une évolution du positionnement de l’administration par rapport au contribuable. Le développement des rescrits fiscaux, ou bien des accords fiscaux préventifs (ex. : Les accords préalables sur les prix de transfert) sont également des déclinaisons du changement sensible de cette relation.
Toutefois, la revue contradictoire de situation fiscale de l’entreprise semble en être aujourd’hui la forme la plus aboutie. Ce protocole expérimental, et prévu pour deux ans, est mis en ligne par la DGFiP depuis le 1er juillet 2013. La version actuelle date de mai 2014. Il s’agit d’une nouvelle forme de contrôle fiscal (5), non plus a posteriori mais a priori (6). Ce protocole n’a pas de fondement légal, mais repose sur un accord, un contrat passé entre l’administration et l’entreprise volontaire. L’adhésion à ce protocole est libre, valable un an, et tacitement reconductible. Chaque partie a la faculté de le résilier à tout moment, sans formalité ni condition particulière en notifiant à l’autre partie sa volonté de sortir du protocole.
L’objet du protocole consiste à instaurer un dialogue continu et régulier entre l’entreprise et l’administration, qui permet à l’entreprise de sécuriser ses options fiscales, grâce à la connaissance rapide des prises de position de l’administration. En contrepartie, l’administration a une meilleure connaissance de l’activité et de la gouvernance fiscale de l’entreprise. Le protocole est une alternative à la classique vérification de comptabilité, dans la mesure où l’entreprise suit les réserves éventuellement formulées par l’administration.
Cette relation de confiance entre l’entreprise et l’administration consacre une nouvelle approche du contrôle fiscal, fondée sur la contractualisation de cette relation, qui porte des engagements réciproques à la charge de l’administration et de l’entreprise, et qui permet de renforcer la sécurité juridique et fiscale de l’entreprise.
II – La confiance selon la DGFiP
Avec cette revue contradictoire, c’est une conception particulière de la relation de confiance qui est valorisée. En effet, dans le cadre de ce protocole contractuel, l’administration invite l’entreprise qui le signe à lui révéler ses choix stratégiques et options de gestion, en contrepartie notamment d’une sécurité juridique renforcée (7). A cet égard, on peut être étonné que la sécurité juridique de l’entreprise fasse partie du deal, alors qu’elle devrait être garantie à tout contribuable, et ne pas être conditionnée à la signature d’un accord. Si le rapport Fouquet incitait au développement d’une relation approfondie, il prônait également et en premier lieu d’autres améliorations, qui semblent avoir été « oubliées » en chemin. Ces propositions portaient sur la norme fiscale elle-même, source première d’insécurité juridique du fait de sa complexité et de son instabilité (8). Or, ces pistes avaient d’une part pour intérêt de s’attaquer à la racine du problème et d’autre part pour vertu de concerner l’ensemble des contribuables. La sécurité juridique n’était pas, dans ce contexte, subordonnée à la signature d’un contrat.
Que ce soit avec la revue contradictoire, les rescrits, les accords préventifs, voire la Charte du contribuable (9), la confiance selon la DGFiP semble donc entretenir des liens étroits avec la culture de la contractualisation (10), et donc être réservée aux meilleurs élèves de la classe.
Elle traduit également un certain renoncement à l’ambition d’améliorer la norme fiscale, et une prise de distance par rapport au modèle traditionnel de la norme juridique. Elle met en avant l’amélioration du service rendu au contribuable-client, un service individualisé dans le cadre d’une relation contractualisée.
L’ensemble de ces caractéristiques n’est pas sans rappeler l’utilisation de la confiance en science de gestion.
III – Les emprunts à la science de gestion
En gestion (et en économie) également, il est fait référence à la confiance comme outil de coopération entre les différents agents économiques. En dépit de son utilité, cette notion se laisse difficilement appréhendée à travers une définition (11). Finalement qu’est-ce que la confiance ? Elle a été qualifiée d’ « institution de l’invisible » et de « réducteur d’incertitude » par l’économiste Kenneth Arrow (12). Pour d’autres, il s’agit d’un construit social résultant de la coopération entre les agents économiques (13). Pour résumer, il s’agit d’un concept flou, irrémédiablement lié à l’existence d’incertitudes, que le recours à la confiance permettrait de réduire. Elle naît dans un contexte d’attentes partagées par des personnes impliquées dans un échange (14). La confiance repose sur une certaine réciprocité dans l’échange.
La réciprocité dans l’échange est clairement mise en avant dans la proposition de relation de confiance formulée par la DGFiP, ou son succédané grand public qu’est la Charte Copé. L’attente d’une réduction de l’incertitude est également au cœur de ce protocole : espoir de voir ses choix fiscaux validés, et le risque fiscal écarté pour l’entreprise ; meilleure connaissance du profil fiscal de l’entreprise et meilleure acceptation du contrôle par le contribuable pour l’administration.
En gestion, la confiance est également une variante ou une alternative au contrôle(15). Elle est mise en place :
– pour améliorer la qualité de la coopération ;
– pour dissuader les partenaires de se comporter de manière opportuniste ;
– et pour réduire les coûts.
L’amélioration de la coopération est un but clairement affiché depuis des années par la DGFiP, et ne se traduit d’ailleurs pas seulement à travers la mise en place de la revue contradictoire de situation fiscale de l’entreprise. L’accompagnement annuel permet également de prévenir les comportements opportunistes d’une entreprise, qui de toutes les manières n’était sans doute pas dans cet état d’esprit en signant volontairement le protocole. Il reste la question de la réduction des coûts. A ce sujet, l’article 3 du protocole de coopération détaille les engagements de l’administration. Il y est notamment indiqué que « l’administration s’engage à consacrer à cette revue des moyens stables et adaptés (composition de l’équipe, définition du responsable, permanence de l’équipe…..) ». Si les engagements de l’entreprise impliquent qu’elle dévoile largement sa gestion, ceux de l’administration présentent un coût certain, notamment en termes d’agents. On imagine mal dans le contexte de la réduction drastique des effectifs de la DGFiP, qu’un tel type de contrôle puisse être proposé à grande échelle. Dès lors, la question de l’enjeu de ce protocole expérimental se pose : effet d’annonce pour valoriser le nouveau visage des services fiscaux, ou bien réelle volonté d’accompagner les entreprises dans leur ensemble, une volonté qui risque de se heurter à un problème de moyens. Que se passerait- il si toutes les entreprises revendiquaient le bénéfice d’un tel accompagnement ? Cela est sans doute un scénario improbable !
Sophie Lambert-Wiber,
Maître de conférences à l’Université d’Angers,
Centre Jean Bodin
(1) Quatrième réunion du forum de l’OCDE sur l’administration fiscale, communiqué du Cap des 10-11 janvier 2008.
(2) Améliorer la sécurité juridique des relations entre l’administration et les contribuables : une nouvelle approche, rapport présenté par O. FOUQUET, juin 2008.
(3) Proposition 19 du rapport Fouquet, qui renvoie aux travaux de l’OCDE : « Dans ce nouveau contexte, l’entreprise consulterait l’administration en continu sur des points d’interprétation de la loi liés à ses projets économiques et les différends dans l’interprétation des textes seraient réglés en amont. En contrepartie d’un engagement de transparence (portant sur ses méthodes de contrôle interne, l’audit interne de ses risques fiscaux et ses projets à incidence fiscale), l’entreprise pourrait obtenir plus rapidement des réponses de l’administration et ferait l’objet d’un contrôle a posteriori régulier, ciblé sur les zones de risque. Ce modèle nécessite une coordination étroite entre la DGE et la DVNI ».
(4) Avant la France, d’autres pays, notamment anglo-saxons, ont déjà mis en place des approches coopératives du contrôle fiscal. Sur ce point, voir V. Lacombe et L. Banos, contrôle fiscal des grandes entreprises : les nouvelles approches des administrations anglo-saxonne peuvent-elles inspirer une évolution en France ?, Droit Fiscal, 2012, n° 49, 544
(5) O. Sivieude, Une nouvelle approche du contrôle fiscal des entreprises citoyennes, Droit Fiscal 2014, 348.
(6) V. Lacombe, L. Banos et F. Garcia, Contrôle fiscale des entreprises : de la défiance à la confiance ? – A propos du « protocole de coopération en vue d’une revue contradictoire de la situation fiscale de l’entreprise appelée « Relation de confiance » », Droit Fiscal 2013, n° 28, 365.
(7) O. Sivieude, préc.
(8) Rapport Fouquet, p. 7 : Parmi les sources d’insécurité juridique, l’instabilité de la norme arrive largement en tête. La première recommandation porte ainsi sur la nécessité de simplifier, stabiliser et rendre plus cohérente la norme fiscale.
(9) La Charte Copé « se présente comme un contrat moral entre l’usager soumis à certaines exigences et l’Administration qui s’efforce de lui « faciliter l’impôt » (IGDPE, Le civisme fiscal : entre valeur républicaine et outil de recouvrement, Anc. Rev. Trésor, juin 2008, n° 6).
(10) M. Bouvier, Nouveau civisme fiscal et légitimité du recouvrement de l’impôt, RFFP 2010, N° 112, p. 25 et s.
(11) E. Simon, La confiance dans tous ses états, Revue française de gestion, 2007/6, n° 175, p. 210.
(12) K. J. Arrow, The limits of Organisation, New York, Norton, 1974.
(13) F. Fukuyama, Trust, the social virtues and the creation of prosperity, New York, The Free Press, 1995.
(14) L.G., Zucker L.G., “Production of trust : Institutional sources of economic structure”, Research in organizational behavior, M. Staw et L. L. Cummings (Eds.), 8, Greenwich, JAI Press, 1986, pp. 53-111.
(15) R. Beaujolin et G. Nogatchewsky, La rupture du contrôle par la confiance dans les relations client-fournisseur, Comptabilité, contrôle-audit, 2005/2, Tome 11, p. 40.