Revue européenne et internationale de droit fiscal

BREXIT OR NOT BREXIT ?

« Jusqu’à ce qu’il quitte l’Union, le Royaume-Uni demeure un Etat membre à part entière de l’UE, auquel s’appliquent tous les droits et obligations énoncés dans les traités et dans la législation de l’UE. Toutes les activités de l’UE qui sont en cours devront se poursuivre de manière aussi harmonieuse que possible à 28, et les négociations menées avec le Royaume-Uni seront tenues séparées des activités de l’Union qui sont en cours et n’empièteront pas sur leur déroulement » (Conseil européen extraordinaire, 29 avril 2017).

La Cour de justice de l’Union européenne a été sollicitée par un renvoi préjudiciel afin de savoir si l’article 50 du traité sur l’Union devait être interprété comme considérant qu’un Etat ayant demandé à se retirer de l’Union européenne pouvait y renoncer unilatéralement. La Cour, a admis la recevabilité de la demande dans l’arrêt rendu le 10 décembre 2018 (CJUE, 10 déc. 2018, n° C 621/18), qui consacre la souveraineté de l’Etat à sortir de l’Union, et éventuellement son droit à changer d’avis, mais dans les limites du délai fixé par l’article 50. Qu’en pensez-vous ?

Laetitia PREZEAU : La demande de sortie du Royaume-Uni constitue la première demande de retrait au sein de l’Union Européenne et les modalités de sortie n’avaient été jusqu’à présent que très peu développées. La Cour de Justice a donc dû se confronter à l’interprétation des textes en vigueur et a donc simplement été fidèle aux articles du traité de l’Union.

Il faut rappeler que l’article 50 précise en son point 1 que « Tout État membre peut décider, conformément à ses règles constitutionnelles, de se retirer de l’Union. ».  Le droit de retrait est donc un acte souverain de chaque Etat qui souhaite le mettre en œuvre par notification avant l’expiration du délai de 2 ans. En l’absence de disposition régissant la révocation de la notification, cette révocation doit donc pouvoir être décidée unilatéralement, d’autant plus que soumettre le droit de révocation à une approbation serait par conséquent contraire au droit souverain d’un Etat de décider de se retirer ou non et, se transformerait en un droit conditionnel et contradictoire avec le point 1.

L’approbation est aujourd’hui requise uniquement lors de la demande d’adhésion d’un Etat comme précisé dans le point 5 de l’article 50. Par conséquent, 3 cas de figure existent pour sortir de l’Union : retrait avec accord, retrait sans accord ou maintien dans l’Union.

Même si le droit de retrait sans accord existe, ce dernier reste une option difficilement envisageable car la conclusion d’un accord est essentielle pour définir clairement les modalités de ce retrait, pour cadrer les futures relations entre l’Union Européenne et le Royaume-Uni et répondre ainsi au mieux aux intérêts de chacun du fait des différents potentiels impacts. L’article 50 point 3 confirme cela en offrant notamment au Conseil de proroger le délai.

Jean-Luc ALBERT : La Cour de justice a conféré une lecture inévitablement très littérale à cette disposition du traité sur l’Union, disposition il est vrai nouveau fruit du traité de Lisbonne et qui n’avait alors pas donné lieu à grand débat mais avait plutôt été considérée comme répondant à une sorte de « vide juridique » théorique : que faire si l’un des Etats membres décidait de quitter l’Union ?

Ce qui était une réponse théorique est devenu de façon inattendue un instrument pratique dont les conditions et modalités étaient fort peu développées au moins dans le sens d’une mise en œuvre effective. Il appartient comme d’habitude en matière de droit de l’Union à la Cour de donner une interprétation aux traités ; celle-ci, est très littérale et permet de façon surprenante à l’Etat désireux de partir de se mettre en marge des instances européennes ; mais rien n’a été prévu dans les textes s’agissant de la situation présente ; le retrait constitue un acte souverain fondé sur les dispositions constitutionnelles propres à chaque pays tout en respectant les conditions du retrait définies à l’article 50-3.

Notons, en outre, que l’article 50-3 offre beaucoup de souplesse en cas de difficulté de mise en œuvre puisqu’il permet explicitement au Conseil européen de déroger au délai de deux ans prévus à compter de la notification de la décision de retrait opérée par l’Etat membre concerné. De fait, ce dernier est maitre du jeu s’agissant du calendrier de notification, il peut même donner son accord pour une prolongation du délai et peut aussi, et c’est l’apport nouveau de la décision de la Cour, décider unilatéralement, souverainement, de retirer sa notification de retrait, analyse qui n’est absolument pas énoncée et prévue par le traité.

Certains ont en outre pensé que, dans le cas du Brexit, le Royaume-Uni pourrait retirer sa notification dans les derniers moments de la période de deux années pour redéposer celle-ci peu après ; il faut enfin rappeler cette exigence de coopération loyale qui s’impose à l’Etat en question durant la période au cours de laquelle il reste membre de l’Union dans la phase de retrait, exigence rappelée dans l’accord du 11 avril 2019 conclu entre les 27 et le gouvernement britannique lequel a repoussé l’échéance du Brexit au 31 octobre 2019 (date limite).

Peut-on considérer que l’hypothèse d’un no deal soit de nature à créer des difficultés économiques et sociales au Royaume-Uni et que le rétablissement de barrières douanières en Irlande soit une menace ?

Laetitia PREZEAU : Un « no deal » entraînera de facto la fin de la libre circulation des marchandises, des personnes… l’introduction notamment de nouvelles formalités, l’entrée en vigueur de textes avec de possibles contradictions et impactera donc l’économie du Royaume-Uni étant donné le nombre conséquent d’importations réalisé par ce pays chaque année. L’impact sur l’aspect social est également significatif au vu du nombre de travailleurs européens sur le sol du Royaume-Uni et inversement. En ce qui concerne l’Irlande, les effets ont été sous-estimés et ce pays est pris en otage.

Jean-Luc ALBERT : Quelle que soit l’approche de la question, le départ britannique de l’Union européenne implique des conséquences majeures pour les entreprises sur le plan douanier et en particulier la reconstitution d’une frontière douanière entre l’UE et le Royaume-Uni ; il faut à la fois remettre en place des processus d’organisation douanière, déclaratifs, le respect d’un ensemble de formalités douanières et d’obligations formelles si ce n’est tarifaires avec deux dispositions juridiques qui peuvent se contredire, le nouveau droit douanier britannique et le droit douanier de l’Union européenne.

A cet égard, il convient de noter le nombre important de textes et projets de textes adoptés par l’UE, le plus souvent sous réserve de réciprocité, tandis que les autorités britanniques ont adopté une loi de taxation qui inclue une dimension douanière. Le no deal suppose une mise en œuvre de la plénitude des dispositifs douaniers de part et d’autre de la Manche ; soyons clair aussi ; le concept de « no deal » vise à la non application de l’accord qui avait été conclu, sous l’égide de Michel Barnier, le 14 novembre 2018 (et la déclaration politique du 22 novembre 2018 sur les relations futures) et qui ne concernait là encore qu’une phase transitoire. Il n’organisait pas pour au-delà de 2020 les conditions nouvelles des relations commerciales entre le Royaume-Uni et l’UE qui restent à négocier.

Sur le plan économique et social nombre d’entreprises implantées au Royaume-Uni ont commencé à se réorganiser avec un impact sur les sites et lieux de production afin de rationaliser leur gestion territoriale, ce qui a un impact sur l’emploi et la croissance économique.

Dans l’hypothèse d’un report long du Brexit, notamment parce que de nouvelles élections pourraient avoir lieu ou qu’un second référendum serait à l’ordre du jour, les Etats membres du l’Union et les entreprises seraient dans l’incertitude. Cette situation serait-elle de nature à créer des difficultés pour la France et les entreprises ?

Laetitia PREZEAU : Tous les acteurs ont aujourd’hui simplement besoin d’y voir plus clair sur les modalités de mise en œuvre de ce retrait afin d’anticiper au maximum et de se préparer dans les meilleures conditions. Un flou juridique est toujours difficile à appréhender pour les entreprises et soulève de nombreuses interrogations sans réponse.

Jean-Luc ALBERT : L’incertitude juridique, par principe, est une source de déstabilisation pour les entreprises. La question douanière sera sans doute moins tarifaire que fonctionnelle avec les problèmes d’organisation logistique, la réapparition de « frontières » administratives, de contrôles spécifiques et des risques évidents de contentieux. Des bases de réciprocité devront être établies avec de nombreux textes à mettre en œuvre au cours des années à venir.

Quelle que soit la solution retenue par le Royaume-Uni, la direction générale des douanes en France et les entreprises françaises qui ont des établissements dans ce pays sont-ils organisés pour gérer, dans de bonnes conditions, cette situation ?

Laetitia PREZEAU : Seule l’arrivée de l’échéance au 30 mars 2019 a hissé le Brexit comme LE sujet d’actualité ces derniers mois et comme une priorité à mettre en œuvre au sein des autorités et des entreprises. L’éventualité d’un « no deal » a laissé supposer aux acteurs la mise en place de modalités les plus contraignantes, les poussant ainsi s’organiser dans ce sens. D’un point de vue douanier, de nombreuses publications ont été réalisées par l’administration des douanes pour accompagner les entreprises et différents investissements ont été mis en œuvre. Toutefois, bien que cela soit anticipé au maximum, la mise en place des futurs rouages du système donne à entendre des difficultés lors de la bascule d’autant plus si cette dernière n’est pas progressive. Et de nombreuses entreprises vont découvrir les aspects douaniers, ce qui ne sera pas une mince affaire.

De plus, il ne faut pas perdre également de vue que de nombreux questionnements ont également lieu sur la réglementation produit qui sera applicable (marquage de conformité spécifique au Royaume-Uni, des certifications non reconnues, transfert d’AMM, …) et qu’il faudra respecter lors de l’importation au risque de voir les produits bloqués. Des éclaircissements sur les règles et sur les échéances sont primordiaux pour permettre aux entreprises de s’organiser pour la mise en œuvre et pour anticiper les frais additionnels.

Jean-Luc ALBERT : Il semblerait que pendant très longtemps une partie du monde économique français n’ait pas intégré le départ britannique ; la chose n’apparaissait pas sérieuse avec l’idée que le Brexit, de toute façon, n’aurait pas lieu. Si les grandes entreprises ont pu s’y préparer, si l’administration des douanes a réalisé un effort de communication à ce sujet, il apparaît que nombre de PME vont être confrontées, pour la première fois, à des questions douanières.

La France a, à la fois, commencé à s’organiser matériellement et humainement en investissant dans les matériels, équipements, bâtiments, recrutements, sachant que l’essentiel du droit douanier à mettre en œuvre est d’origine européenne. Rappelons ici l’adoption par plusieurs pays (France, Belgique, Pays-Bas…) du « front » de législations et réglementations organisant les contrôles et formalités à la nouvelle frontière (en France avec la loi du du 19 janvier 2019 qui avait été déposée auprès du Parlement en octobre 2018).

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