Revue européenne et internationale de droit fiscal

A propos

Madies Thierry

Thierry Madies

Professeur d’économie politique à l’Université de Fribourg (Suisse)

Ancien membre du Conseil d’Analyse Economique auprès du Premier ministre (France)

La concurrence fiscale internationale

La concurrence fiscale internationale,
La découverte, coll. Repères, 2020, 127 pages.

1 – La concurrence fiscale internationale ne se résume pas à la comparaison des taux d’impositions dès lors que les assiettes sont différentes, y compris dans l’Union européenne. Est-il souhaitable et envisageable d’unifier les assiettes tout en appliquant des taux d’impositions qui soient identiques ?

Je suis favorable à une solution permettant d’harmoniser les bases imposables au sein de l’UE tout en maintenant une certaine marge de manœuvre pour les taux d’imposition (éventuellement avec un taux minimum). Des assiettes larges et des taux d’imposition faibles sont préférables du point de vue de l’efficacité économique à des bases étroites assorties de taux élevés. Mettre en place dans un premier temps une base commune assortie de règles anti-évasion fiscale (qui limite le « mitage » de l’assiette de l’impôt sur les sociétés) pour les entreprises opérant dans plusieurs Etats européens va dans le bon sens. Reste évidemment la question fondamentale de l’affectation de cette assiette consolidée entre les différents Etats-membres. Comme d’habitude les difficultés sont davantage d’ordre politique que juridique ou technique. En témoignent les projets de directive en la matière de 2016. Le Parlement européen est moins frileux que les Etats-membres.

2 – Vous observez que « les pays émergents et en voie de développement se font concurrence sur les taux d’impôt sur le bénéfice des sociétés mais, plus encore, en offrant des conditions fiscales privilégiées aux investissements directs étrangers ». En quoi est-ce préjudiciable ?

Cela à mon sens est préjudiciable pour plusieurs raisons. D’aucuns soutiennent que la concurrence fiscale permet de discipliner des gouvernements par nature corrompus ou clientélistes. Je peux concevoir la pertinence de ce raisonnement à un niveau infra-étatique. Je crois beaucoup moins à cet argument quand il s’agit de la concurrence fiscale internationale car les pays peuvent utiliser une multitudes d’autres moyens, par exemple jouer sur la législation environnementale ou sociale, pour attirer des investissements étrangers. J’y crois encore moins pour les pays en voie de développement dont les ressources fiscales sont limitées alors même que leurs besoins en infrastructures ou dépenses d’éducation sont colossales. De surcroît, les incitations fiscales utilisées par ces pays sont parfois incohérentes les unes avec les autres et coûteuses à administrer. Enfin, il arrive que ces pays soient soumis à un chantage de la part d’investisseurs internationaux. En effet, ces derniers peuvent chercher à influencer la norme juridique elle-même, par exemple le code minier ou le code forestier lorsqu’ils existent. Les enjeux sont alors beaucoup plus importants que la seule fiscalité.

3 – Il semble que les Etats, malgré des évolutions récentes, soient en difficulté pour contrarier les problématiques de double non-imposition, la manipulation des prix de transfert et l’optimisation par l’utilisation de structures financières que l’on trouve au sein des entreprises multinationales. L’OCDE, qui a été à l’initiative du plan « Base erosion and profit shifting » (BEPS) visant notamment à imposer les bénéfices dans le pays où ils sont réalisés, doit-elle être plus offensive et proposer un nouveau plan plus ambitieux. ?

L’OCDE fournit des lignes directrices dans un cadre qui se veut « inclusif ». Il me semble que ses travaux vont dans le bon sens. Aller plus loin me semble actuellement hors de portée. A cet égard, la signature de la convention multilatérale permettant de lutter contre le chalandage fiscal est prometteuse malgré les « réserves » que peuvent poser les Etats. Les problèmes et pratiques liés à « la planification fiscale agressive » sont désormais clairement identifiés. La question comme toujours est celle de la volonté politique des pays de les mettre en œuvre. Les travaux empiriques menés par les économistes à partir de données d’entreprises permettent de mettre en exergue les pratiques d’optimisation fiscale des entreprises multinationales et de chiffrer leurs effets sur les recettes fiscales en allant au-delà de simples exemples ou anecdotes (même si les montants en jeu sont loin d’être anecdotiques). Les mêmes travaux montrent que des règles comme celles visant à lutter contre le phénomène de sous-capitalisation peuvent se révéler efficaces en modifiant sensiblement les comportements des entreprises multinationales.

4 – Le « cadre inclusif » de l’OCDE participe à la refondation du droit fiscal international mais montre ses limites, notamment pour l’imposition des entreprises du numérique. Si l’on veut bien considérer que l’outil juridique n’est que ce que décident d’en faire les Etats. Ne faut-il pas considérer que les Etats sont aujourd’hui dans l’incapacité d’imposer des solutions, juridiques et fiscales, aux géants du numérique ?

Les Etats peinent à imposer les géants du numérique, faute de savoir correctement évaluer le fait générateur de l’impôt, en particulier quand ceux-ci n’ont pas de présence « physique » sur leur territoire. Le problème est cependant beaucoup plus large car la numérisation concerne désormais presque tous les secteurs d’activité. On voit bien les limites posées par les taxes sur les recettes issues des services du numérique quand elles sont mises en œuvre unilatéralement par certains Etats. Peut-être constituent-elles un moindre mal en permettant de créer un rapport de force politique, faute d’accord multilatéral en la matière.

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