1 – Monsieur le rapporteur général votre ouvrage a pour sous-titre « pour un consentement citoyen ». Aujourd’hui on semble préférer les impôts affectés et nous assistons à un retour, notamment dans les collectivités locales des redevances, qui sont les rémunérations de services rendus. Est-il nécessaire et comment peut-on relégitimer l’impôt après qu’il ait été décrié pendant plusieurs décennies ?
Je me prononcerai uniquement sur la fiscalité affectée qui relève du budget de l’Etat et ce n’est déjà pas une mince affaire. Comment le parlementaire peut-il se prononcer utilement sur les questions fiscales, quand d’innombrables niches et taxes affectées non évaluées amputent le Parlement de sa faculté de déterminer l’impôt et la dépense publique ?
Mettons fin à la prolifération incontrôlée de ces dispositifs que sont les niches fiscales et les taxes affectées, dont l’empilement a fini par rendre notre fiscalité illisible et donc difficilement acceptable. Non pas en rayant d’un trait de plume l’ensemble de ces dispositifs, mais en prévoyant la caducité de toutes les niches et taxes affectées dont l’efficacité n’aura pas pu être établie. Tous les grands chantiers que nous pourrions mener à plus long terme, comme rapprocher des recettes fiscales et sociales, dépendent de notre capacité à relever ce défi.
2 – Il est fait obligation de transposer en droit interne les directives communautaires. En outre il n’est guère possible de faire la loi fiscale sans intégrer la jurisprudence de la Cour de justice. Cette communautarisation du droit fiscal est très marquée en ce qui concerne la TVA et la fiscalité des groupes de sociétés et beaucoup moins en matière d’impôt sur le revenu. Quelle appréciation portez-vous sur ce mouvement ?
Lever l’impôt est au fondement de la souveraineté des Etats. Aussi, si l’UE est une communauté de droit, les Etats ont veillé à ce que le Traité leur préserve une large marge d’action et le processus de décision en matière fiscale demeure gouverné par l’unanimité. Mais face à l’intégration croissante des économies, aux effets dommageables de la concurrence fiscale entre Etats, le besoin d’une politique fiscale commune s’est affirmé progressivement. L’objectif était de réaliser le potentiel du marché intérieur, socle de croissance pour l’Europe, et donc de remédier aux obstacles aux frontières, ce qui s’est traduit par une harmonisation progressive du régime de TVA, encore incomplète.
En revanche, le traité ne prévoit pas de disposition spécifique pour l’harmonisation des impôts directs. La concurrence fiscale a cependant conduit à une baisse tendancielle du taux d’impôt sur les sociétés pratiqué dans les différents pays. Or, derrière l’impôt, ce sont des grands choix de société qui sont reflétés. Nos sociétés n’ont pas les mêmes préférences collectives en matière de services publics ou de redistribution ; ce qui explique que l’impôt sur le revenu notamment soit déterminé sur une base nationale.
Mais face à la concurrence américaine ou chinoise, pour préserver un “level playing field’, c’est au niveau international qu’il est préférable de négocier les sujets de fiscalité numérique ou d’imposition minimale des grands groupes: c’est le sens des négociations en cours au sein de l’OCDE, ou à défaut au moins au niveau européen. Et là, la logique de l’unanimité demeure un frein dommageable. C’est pourquoi je suis favorable à mettre fin à la règle de l’unanimité sur ces sujets au niveau européen pour renforcer notre capacité d’action collective.
3 – Le Conseil des impôts puis le Conseil des prélèvements obligatoires ont publié des rapports sur ce qu’il est convenu d’appeler « les niches fiscales ». Des universitaires y ont consacré des travaux. Vous avez lancé un « Grenelle de la dépense fiscale » visant à s’interroger sur l’efficacité et la cohérence des dispositifs. Pouvez-vous nous en dire plus sur la méthode suivie, au regard des moyens mobilisés pour ce travail, et les objectifs que vous entendez atteindre ?
Je souhaite relancer le ‘Grenelle’ des niches fiscales, que j’avais débuté juste avant la crise du Covid-19, réunissant les professionnels concernés de plusieurs secteurs (recherche et innovation, transition énergétique, logement, services à la personne…), afin de questionner la pertinence de ces dispositifs. Qu’il s’agisse des niches ou des petites taxes, l’important, c’est l’évaluation, qui fait trop souvent défaut.
C’est pourquoi nous avons décidé de borner les niches fiscales dans le temps. Nous proposons une date de « péremption » qui oblige l’administration à évaluer leur efficacité. Attention, ce n’est pas un sursis ! Il ne s’agit pas de déstabiliser tel ou tel secteur d’activité. Nous essayons plutôt de convaincre que l’évaluation est utile pour tous les acteurs.
Nous ne faisons pas de rabot mais prônons l’évaluation pour s’assurer que l’argent public est correctement utilisé. Ce contrôle est rendu possible grâce au travail réalisé lors du printemps de l’évaluation, dont on voit aujourd’hui les premières applications concrètes.
4 – Vous évoquez, à juste titre, la nécessité du contrôle et de l’évaluation en vous référant au « printemps de l’évaluation ». Mais ne faudrait-il pas que le Parlement se donne les moyens à l’image de ce qui se passe au Canada ou en Angleterre, indépendamment de ce que fait la Cour des comptes ou ce que propose le ministère des finances, pour évaluer les dispositifs fiscaux avant qu’ils ne soient votés ?
C’est exactement le sens du Printemps de l’évaluation. Si le Gouvernement, son administration et la Cour des comptes apportent leur concours en amont, pour que l’on dispose d’une information de qualité et exploitable dans de bonnes conditions, les analyses et les conclusions qui en sont faites relèvent exclusivement du travail des rapporteurs spéciaux de la commission des finances. Le Printemps de l’évaluation s’installe durablement et je souhaite que nous poursuivions sur cette lancée.
Et au-delà de l’exercice d’évaluation des politiques publiques, le Printemps de l’évaluation a permis depuis sa création de renforcer le contrôle de l’exécution budgétaire. Cet aspect n’est en rien à négliger car c’est en s’interrogeant sur les surprises de l’exécution que le Parlement renforce la portée de son autorisation budgétaire.