Revue européenne et internationale de droit fiscal 2020/4

European and international Journal of Tax Law

Thierry Lambert Professeur Aix-Marseille Université

Président de l’institut international des sciences fiscales – 2iSF

Rédacteur en chef de la Revue européenne et internationale de droit fiscal

QPC en matière fiscale

La loi constitutionnelle du 23 juillet 2008[1] de modernisation des institutions a modifié le paysage juridique en instaurant une procédure de contrôle de constitutionalité a posteriori, sous la forme d’une question prioritaire de constitutionalité. En application de l’article 61-1 de la Constitution, inséré à l’article 29 de la loi précitée, un citoyen peut dans le cadre d’une instance engagée devant une juridiction soutenir qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit. Le Conseil constitutionnel est saisi de cette question, exclusivement par le Conseil d’Etat ou la Cour de cassation. La loi organique du 10 décembre 2009 précise les modalités d’application de l’article 61-1 de la Constitution.

L’inconstitutionnalité de la loi fiscale peut être soulevée au regard de l’ensemble des droits et libertés inclus dans le boc de constitutionnalité, mais aussi de principes qui sont expressément consacrés par des textes de valeur constitutionnelle, tout comme ceux dont le rattachement textuel semble plus distant et dont l’existence a été reconnue par le Conseil constitutionnel ou par les juridictions ordinaires à l’occasion du contrôle des normes qui leur sont soumises et notamment les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, ou encore les principes à valeur constitutionnelle et objectifs à valeur constitutionnelle.

La constitutionnalité de la loi fiscale peut être contestée au regard du principe d’égalité[2], qui comme le montrent les auteurs du dossier, est fréquemment invoqué lors des saisines. Pour exercer son contrôle, le Conseil constitutionnel s’appuie soit sur le principe d’égalité devant la loi et sa déclinaison fiscale, le principe d’égalité devant l’impôt, pour apprécier le bien-fondé des différences de traitement, soit sur le principe d’égalité devant les charges publiques pour analyser le rapport entre la charge fiscale et les capacités contributives du contribuable. Le contrôle de l’égalité fiscale a pour objet de vérifier que le législateur, en matière fiscale, a fondé son appréciation sur des critères objectifs et rationnels.

Le respect des droits de la défense, principe fondamental reconnu par les lois de la République, s’applique dans le cadre des procédures juridictionnelles et non juridictionnelles. Il peut être utilement soulevé. De même façon la proportionnalité des délits et des peines, tiré de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, est applicable aux sanctions fiscales administratives.

Concernant la préoccupation constante du fiscaliste à savoir l’accessibilité et l’intelligibilité de la loi, objectif à valeur constitutionnelle, la chose est plus complexe car le Conseil constitutionnel considère que ce principe « impose d’adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques »[3] mais, le Conseil constitutionnel admet aussi que des motifs d’intérêt général suffisants peuvent justifier la complexité de la loi[4].

Quand le juge est saisi de moyens contestant la constitutionalité et la conventionalité d’une loi, il devra se prononcer par priorité sur la transmission, au Conseil constitutionnel, de la question de constitutionnalité. Cette priorité d’examen est liée à l’effet erga omes de la déclaration d’inconstitutionnalité, celle-ci conduisant à l’abrogation de la législation concernée[5].

Tout en réservant au seul Conseil constitutionnel le soin de statuer sur la constitutionalité d’une loi, la loi organique donne au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, ainsi qu’aux juridictions du fond, un rôle de filtre. En effet afin d’éviter les procédures dilatoires, le juge de première instance ou le juge d’appel saisi d’une question de constitutionnalité procède à un examen pour savoir si la question peut être transmise, ou non, au Conseil d’Etat ou à la Cour de cassation. D’une part, la disposition législative contestée doit être applicable au litige ou à la procédure, ou constituer le fondement de poursuites pénales. D’autre part, la loi contestée ne doit pas avoir déjà été validée par le Conseil constitutionnel dans les motifs et le dispositif de sa décision, sauf changement de circonstances. Au terme de cet examen sommaire par le juge, la question ne doit pas être considérée comme étant dépourvue de caractère sérieux.

Il nous faut observer que l’administration, confrontée à une question de constitutionnalité, quand elle s’attache à contester la recevabilité, elle le fait au regard de cette analyse.

Lorsque toutes les conditions sont remplies, le juge du fond transmet la question à la juridiction supérieure dont il relève, le Conseil d’Etat ou la Cour de cassation, qui procède à son tour à un examen. Le Conseil constitutionnel sera saisi si la disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites. Mais aussi si, sauf changement de circonstances, la disposition contestée n’a pas déjà été déclarée conforme par le Conseil constitutionnel dans les motifs et le dispositif de sa décision. Enfin la question doit être nouvelle ou présenter un caractère sérieux. Le Conseil constitutionnel dans sa décision du 3 décembre 2009[6] apporte les précisions utiles considérant que la « question prioritaire de constitutionnalité ne peut être nouvelle (…) au seul motif que la disposition législative n’a pas été examinée » par lui, mais qu’il devra être saisi  « de l’interprétation de toute disposition constitutionnelle dont il n’a pas encore eu l’occasion de faire application », le Conseil d’Etat et la Cour de cassation pouvant « dans les autres cas » apprécier l’intérêt de saisir « en fonction de ce critère alternatif ».

Aux termes de l’article 62 de la Constitution, une déclaration d’inconstitutionnalité entraine l’abrogation du texte, et non sa seule inapplication au cas d’espèce. L’abrogation a un effet immédiat sauf si le Conseil constitutionnel décide de moduler l’application dans le temps[7].

QPC et droit fiscal : l’histoire n’est certainement pas totalement écrite.

Bonne lecture !!!


[1] n° 2008 – 724 du 23 juillet 2008.

[2] O. Fouquet, Le Conseil constitutionnel et le principe d’égalité devant l’impôt, Les nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel, 2011, 33, pp. 7-13.

[3] DC du 27 avril 2005 n°2005-514.

[4] DC 29 décembre 2005 n° 2005-530

[5] C. de la Mardière, La question prioritaire de constitutionalité en matière fiscale, un espoir déçu, Le contentieux fiscal en débats (T. Lambert dir -), LGDJ, coll. Grands colloques, 2014, pp. 29 -38.

[6] DC du 3 décembre 2009, n°2009-595.

[7] S. Austry, QPC fiscale et effets de la décision dans le temps, Les nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel, 2011, 3, pp. 69 – 84.

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