Revue européenne et internationale de droit fiscal 2020/3

European and international Journal of Tax Law

Thierry Lambert Professeur Aix-Marseille Université

Président de l’institut international des sciences fiscales – 2iSF

Rédacteur en chef de la Revue européenne et internationale de droit fiscal

Les pratiques fiscales abusives à la lumière du droit européen

La crise économique et financière mondiale de 2008 a profondément et durablement modifié l’environnement international. A l’invitation des différents G20, l’OCDE a proposé des dispositifs qui visent à renforcer la transparence et plus globalement à refonder en grande partie le droit fiscal international.

Le forum sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales, créé en 2002 par l’OCDE, a engagé, depuis 2010, un travail de fond avec la mise en place de standards qui sont les instruments juridiques indispensables pour échanger des renseignements. On peut toujours considérer que ce n’est pas suffisant mais constatons que des progrès sans précédents ont été accomplis[1].

Pas moins de quatre actions du plan « Base Erosion and Profit Shifting » (BEPS) visent à renforcer la transparence[2]. Il s’agit de mettre en place des méthodologies afin de collecter et d’analyser les données sur l’érosion de la base d’imposition, le transfert des bénéfices et des actions pour y remédier (action 11), mais aussi de contraindre les contribuables à faire connaître leurs dispositifs de planification fiscale agressive (action 12), de revoir les obligations en matière de documentation des prix de transfert (action 13). L’objectif est aussi d’accroître l’efficacité des mécanismes de règlement des différents (action 14) et de mettre au point un instrument multilatéral (action 15).

Depuis 2012 l’échange automatique d’informations sur les comptes financiers s’accélère. Une norme d’échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers (norme AEOI) a été développée en réponse à la demande des dirigeants du G20. Il s’agit de communiquer de façon systématique, à intervalles réguliers, des blocs d’informations relatifs à divers éléments constitutifs de revenus (les intérêts, les dividendes, …), par le pays de la source des revenus au profit du pays de résidence du contribuable. Le bilan est loin d’être négligeable. « En 2019, près d’une centaine de pays ont pratiqué l’échange d’informations financières. Ces échanges de renseignements automatiques ont permis à leurs administrations fiscales d’obtenir des données sur 84 millions de comptes financiers détenus à l’étranger par leurs résidents, correspondant à un montant total de 10 000 milliards d’euros »[3].

L’Union européenne et les Etats qui la composent portent le même message. A la suite des recommandations de l’OCDE, dans le cadre de l’action 2 de BEPS visant à neutraliser les effets de dispositifs hybrides, l’Union européenne a adopté, le 12 juillet 2016[4], une directive dite anti-évasion fiscale (anti tax avoidance). Sont visés les situations impliquant un Etat tiers, les situations avec un établissement stable situé dans un Etat tiers, ou dans l’Union européenne, les asymétries dues à une différence de qualification ou d’attribution de paiement, les paiements imposés normalement mais servant à financer une relation hybride située totalement hors de l’Union européenne. C’est le souci de transparence qui a conduit à ce que, depuis le 1er janvier 2017, les Etats membres soient tenus d’échanger automatiquement des informations sur les rulings transfrontaliers délivrés par leurs soins[5].

Dans le cadre du programme de la Commission visant à renforcer la transparence fiscale, afin d’aider les Etats membres à mieux protéger leurs ressources fiscales du risque d’érosion et d’évasion du fait de montages fiscaux, les Etats ont adopté le 25 mai 2018[6] une directive modifiant la directive 2011/16 /UE en ce qui concerne l’échange automatique et obligatoire d’informations dite DAC 6 (Directive on Administrative Cooperation n°6). Celle-ci devait être transposée avant le 31 décembre 2019. Elle le fut par voie d’ordonnance le 21 octobre 2019[7].

Les intermédiaires, et notamment les spécialistes du droit fiscal, qui peuvent jouer un rôle important dans l’évasion et la fraude fiscales internationales en concevant et vendant des dispositifs qui ont pour objectif d’aider leurs clients à échapper à l’impôt. Tous les intermédiaires, avocats, institutions financières ou comptables, ne délivrent pas des schémas visant obligatoirement et systématiquement à échapper à l’impôt. L’objectif est d’obliger les intermédiaires à déclarer tout dispositif transfrontalier de planification fiscale qu’ils conçoivent dès lors que ceux-ci comportent des marqueurs définis par la directive. Les marqueurs[8] sont considérés comme des éléments, ou caractéristiques, d’un dispositif de planification fiscale qui potentiellement peut permettre l’évasion ou des pratiques fiscales agressives.  Est un marqueur notamment le paiement en faveur d’un bénéficiaire résidant dans un pays à fiscalité nulle, ou quasiment.

Les intermédiaires concernés se voient dans l’obligation de souscrire des déclarations présentant les montages, lesquelles alimenteront un registre central européen auquel l’ensemble des Etats européens auront accès et feront l’objet d’un échange automatique d’informations entre les Etats membres de l’Union européenne. Il est fait obligation de décrire les activités commerciales, tout en respectant le secret commercial industriel ou professionnel. Les Etats membres concernés par le dispositif doivent être parfaitement identifiés ainsi que les contribuables concernés.

D’ores et déjà certains Etats, le Portugal, l’Irlande ou le Royaume-Uni par exemples, disposent en droit interne de règles obligatoires pour les intermédiaires les enjoignant de faire des déclarations concernant les schémas de panification.

Le compte rendu du Conseil des ministres français, du 15 janvier 2020, affirme « la fraude fiscale et l’optimisation fiscale agressive portent atteinte au principe fondamental d’égalité devant les charges publiques, grèvent les recettes publiques nécessaires à la solidarité nationale et au financement des services publics, et faussent la concurrence loyale entre les acteurs économiques ». L’OCDE et la Commission européenne ne disent pas autre chose.

Bonne lecture !!!


[1] Th. Lambert (dir -), La fin des paradis fiscaux ?, Montchrestien, coll. Grands colloques, 2011, 227 pages.

[2] Le dossier « Planification fiscale agressive et transfert de bénéfices », REIDF, 2, 2015.

[3] F. Perrotin, L’échange automatique d’informations s’accélère, Petites affiches, 22 septembre 2020, pp. 3 – 6.

[4] Directive n°2016-1164 du 12 juillet 2016.

[5] T. Lambert, L’échange de rulings dans les pays de l’Union européenne : un changement de paradigme, REIDF, 2017, 1, pp. 76-83.

[6] Directive 2018/822/UE du 25 mai 2018.

[7] Ordonnance n°2019-1068 du 21 octobre 2019.

[8] Article 1649 AH du CGI.

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