European and international Journal of Tax Law
Le droit fiscal : entre répressions administrative et pénale
Chacun sait que les sanctions fiscales sont bicéphales : administratives et pénales. Les sanctions administratives sont pécuniaires. Elles sont constituées de majorations de droits, d’amendes et de l’intérêt de retard. Les sanctions pénales, réservées aux infractions les plus graves, sont des peines correctionnelles prononcées par les tribunaux de l’ordre judiciaire. Cette distinction assez simple est remise en cause de multiples manières, à la fois pour saisir des situations devenues plus complexes et à forts enjeux financiers mais aussi pour accroître les sanctions administratives et pénales.
La question du cumul des sanctions fiscales et pénales, admis par le Conseil d’Etat et la Cour de cassation, est un sujet de préoccupation. Le Conseil constitutionnel faisant application du principe de proportionnalité, considère que le montant global des sanctions prononcées ne doit pas être supérieur au montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues[1]. La Cour de justice a jugé que la charte des droits fondamentaux de l’Union ne s’oppose pas au cumul des sanctions, en cas de fraude à la TVA, sous réserve que la sanction fiscale ne présente pas un caractère pénal[2]. Concernant la Cour européenne des droits de l’homme, celle-ci admet également le cumul des sanctions s’il existe un lien matériel et temporel entre les procédures fiscales et pénales, justifiant qu’elles soient appréciées comme formant une procédure mixte intégrée[3].
Les pénalités fiscales sont relativement importantes, sans pour autant être totalement dissuasives. Par exemple, lorsque le caractère délibéré de l’infraction est établi, il est fait application d’une majoration de 40%, qui sera portée à 80% en cas de manœuvres frauduleuses. Mais le terrain sur lequel nous sommes aujourd’hui est celui d’un recours accru aux sanctions pénales et d’une certaine manière à la pénalisation des sanctions administratives.
Il y a tout d’abord une modification du champ d’application de certaines qualifications juridiques. L’utilisation des circonstances aggravantes est à cet égard exemplaire. La loi du 4 décembre 2013[4] a retenu les circonstances aggravantes pour les fraudes les plus graves, concernant la fraude commise en bande organisée, ou reposant notamment sur le recours à des comptes bancaires ou des entités détenues à l’étranger, tels que les fiducies ou les trusts. L’objectif du dispositif est de renforcer la répression des fraudes complexes en élargissant le champ des circonstances aggravantes prévues pour les sanctions pénales du délit de fraude fiscale et du délit d’omission d’écritures ou de passations d’écritures inexactes ou fictives. La palette des circonstances aggravantes est très large, au point que l’on peut se demander ce qui ne doit pas être qualifié ainsi? Les peines encourues sont portées à sept ans d’emprisonnement et deux millions d’euros d’amendes.
La loi du 23 octobre 2018[5] marque très certainement une étape, réforme la procédure des poursuites pénales de la fraude fiscale, crée une nouvelle police fiscale et met en place des sanctions à l’égard des tiers complices de graves manquements fiscaux. En effet, les professionnels du chiffre et du droit qui fournissent intentionnellement et directement des prestations permettant de réaliser des fraudes fiscales, sanctionnées par une majoration de 80%, peuvent se voir infliger une amende égale à 50% du profit tiré de la prestation avec un plancher de 10 000€. Si beaucoup d’entre eux sont d’ores et déjà prudents, au nom de la déontologie professionnelle, ils vont devenir très méfiants.
Inspiré par le dispositif anglo-saxon du « name and shame », l’administration peut rendre publique, après avoir reçu l’accord de la commission des infractions fiscales, les sanctions fiscales appliquées aux personnes morales lorsque le montant des droits fraudés est au moins égal à 500 000€ et que les contribuables ont eu recours à des manœuvres frauduleuses ou à l’abus de droit pour échapper à l’impôt. Cette publicité peut être faite alors que les sanctions ne sont pas définitives et peuvent être contestées.
L’administration fiscale a perdu le monopole des poursuites dans les dossiers de fraude fiscale. En effet la loi prévoit, sans que le Conseil constitutionnel n’y fasse obstacle[6], que si les droits éludés dépassent 100 000€, seuil relativement bas pour les entreprises, et si l’application de certaines pénalités a été prononcée, il y a une transmission automatique des dossiers au parquet, qui conserve le pouvoir de l’opportunité des poursuites. A cela s’ajoute les conventions judiciaires d’intérêt public, qui sont des mesures transactionnelles permettant au procureur de la République de proposer des mesures alternatives aux poursuites à une personne mise en cause pour certains délits, sans oublier la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, que l’on qualifie de procédure de « plaider – coupable ».
La loi pour un « Etat au service d’une société de confiance » (ESSOC) du 10 août 2018, qui ouvre la possibilité d’une mise en conformité des entreprises et de leurs dirigeants, afin de régulariser certaines anomalies, moyennant la réduction par voie de transaction, des pénalités et intérêts de retards suivant un barème préétabli, ne gomme pas le fait que la répression administrative et pénale sort renforcée si l’on examine les choses sur une dizaine d’années.
Une tendance lourde semble affecter la France : la pénalisation des sanctions fiscales. Le Portugal préfère l’arbitrage et la Chine gère un contentieux naissant. Mm
Bonne lecture !
Sommaire
Editorial – Thierry LAMBERT
DOSSIER
Le droit fiscal : entre répressions administrative et pénale
Présentation du dossier
Le droit fiscal : entre répressions administrative et pénale – Thierry LAMBERT
Première partie – Les éléments d’une politique répressive
Le Conseil constitutionnel et les sanctions fiscales : un exemple caractéristique d’unification du droit constitutionnel répressif – Eric OLIVA
A la recherche de la cohérence de la répression en matière fiscale – Charles-Henri HARDY
Existe-t-il une politique répressive en matière fiscale ? – Olivier SIVIEUDE
Deuxième partie – Quelques questionnements actuels
La notion de fraude fiscale aggravée – Philippe DEROUIN
La transmission automatique des dossiers fiscaux au Parquet ou l’art de se passer de la Commission des infractions fiscales – Stéphane DETRAZ
Entretien imaginaire avec Maurice COZIAN sur la responsabilité des professionnels du droit – Jean-Claude DRIE
Retour sur le principe ne bis in idem – Nicolas JACQUOT
Troisième partie – Ailleurs
L’arbitrage fiscal (perspectives d’un avocat portugais) – Fernandes FERREIRA
L’évolution du contentieux fiscal en Chine – Franck WU, Ming YI
2ème APPEL A CONTRIBUTIONS JEUNES CHERCHEURS
Contribution à l’étude du régime de la fiscalité directe des entreprises sociales en Belgique. Une illustration des interactions entre le droit fiscal et le droit des personnes morales – Sabine GARROY
Tracé historique du système fiscal en Centrafrique – Mathurin MBOUNOU-NGOPO
VARIA
Environmental tax law in ASEAN : challenges and prospects – Frédéric DAL VECCHIO, Wimpat RAJPRADIT
CHRONIQUE
Actualité du droit douanier
Sous la responsabilité de Jean-Luc ALBERT
Les tribulations douanières frappant l’Union européenne – Jean-Luc ALBERT
Brazillian Customs Système – Liziane MEIRA
China custom reform and legislation – L’évolution de la législation douanière en Chine – Schuschun WAN
ACTUALITE BIBLIOGRAPHIQUE
La fiscalité et l’impératif de développement du Centrafrique – Gilbert ORSONI
Le triomphe de l’injustice. Richesse, évasion fiscale et démocratie – Thierry LAMBERT
La concurrence fiscale internationale – Thierry LAMBERT
APPEL A CONTRIBUTIONS JEUNES CHERCHEURS
[1] CC, juin n°2016 545 et 2016 – 546 QPC du 24 juin 2016, Revue de jurisprudence fiscale, 2016, 10, comm. 862.
[2] CJUE 26 février 2013, aff. 617/10, Revue de jurisprudence fiscale, 2013, 6, comm. 681.
[3] CEDH 15 novembre 2016, aff. 24130/11 et 29758/11, Revue de jurisprudence fiscale, 2017, 2, comm. 210.
[4] Loi 2013-1117 du 6 décembre 2013.
[5] Loi 2018 -898 du 23 octobre 2018.
[6] CC, septembre n°2019-804 QPC du 27 septembre 2019. T. LAMBERT, Le « Verrou de Berçy » à l’épreuve du Conseil constitutionnel, Revue française de comptablité, 2020, 1, pp. 10 – 11.