1 – Dans votre ouvrage vous vous livrez à une critique très rigoureuse du dualisme concernant le contentieux fiscal. Pouvez-vous en présenter les traits les plus saillants ?
Le dualisme juridictionnel est à mon sens la principale raison de la complexité du contentieux fiscal. Cette particularité n’est pas uniquement l’affaire du juriste et a fortiori du fiscaliste, elle concerne directement le rapport entre le citoyen et l’État. Cette fracture du contentieux fiscal sur deux ordres de juridiction constitue une complexité affectant directement et concrètement l’accès au juge pour le contribuable. Elle constitue une entrave inutile aux justifications désuètes qu’il convient d’envisager avec objectivité.
Scinder le contentieux d’une même branche du droit entre deux ordres de juridictions est une situation inédite en droit français. Cette fracture du contentieux fiscal aux origines historiques anciennes est consubstantielle à l’éclatement d’une relation unique. En l’espèce, quel que soit l’impôt, le litige ouvert oppose deux parties, l’administration fiscale et le contribuable portant sur un sujet : l’impôt.
L’article L. 199 du Livre des procédures fiscales est la traduction légale de ce dualisme et incarne l’outil de répartition du contentieux entre les juges. Alors que les impôts directs et indirects sont répartis aléatoirement et inégalement entre les deux ordres, le juge civil conserve une compétence en matière d’impôt « patrimoniaux » comme l’impôt sur la fortune immobilière face à un juge administratif omniprésent, compétent dans plus de 95 % des litiges.
De cette répartition légale découlera la compétence de deux ordres de juridictions avec leurs textes de référence « en comblement des lacunes du contentieux fiscal », venant irriguer le droit fiscal. Le doyen Christian Louit écrivait « ce qui est obscur et complexe renforce le sentiment, facilement exploitable, de l’arbitraire ou de l’injustice »[1]. Le dualisme participe à ce risque.
Sous l’angle jurisprudentiel, tout risque de divergence, chaque interprétation hétérogène entre les deux ordres de juridictions marque une potentielle inégalité voire un affaiblissement de la lisibilité des règles fiscales.
Ce dualisme aux justifications érodées constitue une complexité procédurale qui affecte l’ensemble des acteurs du contentieux fiscal qu’il faut réformer à travers une unification de la procédure et des textes.
2 – Peut-on dire que le monisme sera de nature à rendre plus de cohérence au droit fiscal ?
J’en suis convaincu. Le contentieux fiscal est malade de sa complexité et le remède peut se trouver dans le monisme. A travers une vision unifiée du contentieux fiscal c’est sa structure globale qui est modifiée. Pour donner plus de cohérence au contentieux fiscal, un juge spécialisé doit officier en matière fiscale. Pour de nombreuses raisons développées dans mon ouvrage, aucun juge existant ne pourrait rendre l’intégralité de la justice en matière fiscale. Je propose ainsi la création d’un véritable ordre de juridiction dédié, en trois degrés, dans lequel un juge de l’impôt, formé à la matière, rendra des décisions cohérentes sur tout le territoire, fondées sur un corpus de textes et une procédure unifiée. Cette structure n’est pas une utopie puisqu’elle existe dans d’autres pays comme en Allemagne, en Italie ou au Portugal.
Le monisme incarne une simplification matérielle de l’accès et de l’appréhension du contentieux fiscal. Il apporte au contribuable une clarté bienvenue dans un rapport complexe avec l’administration. Mais ce processus d’harmonisation et de simplification dépasse les enjeux fiscaux. Cette dimension supérieure correspond à l’incarnation de l’impôt dans une société démocratique. Simplifier et clarifier l’accès au juge de l’impôt, participe à renforcer le consentement à l’impôt et réduit le sentiment d’injustice fiscale.
3 – En quoi le fait de rassembler les textes, qui se trouvent dans divers codes, en un seul code, comme vous le proposez, participe-t-il à améliorer les garanties du contribuable dans la procédure contentieuse ?
Améliorer les garanties du contribuable ne passe pas uniquement par une inflation des droits accordés, mais aussi par l’accès à l’information, par la compréhension et par l’accès au prétoire. Consentir librement à l’impôt devient le corollaire d’un procès équitable ne pouvant être assuré qu’en simplifiant radicalement des règles devenant un rempart au lieu d’une protection efficace du contribuable.
La réforme proposée ne pourra être aboutie que par l’amélioration du socle normatif du contentieux fiscal. Intégrer une quantité suffisante de normes actuellement extérieures au droit fiscal, utiles au contribuable et au juge de l’impôt ne pourra se faire qu’après un effort de simplification des normes existantes, passant notamment par une conceptualisation de diverses mesures. Assis sur ce socle normatif unifié, l’unique juge de l’impôt pourra rendre une jurisprudence harmonisée, quel que soit l’impôt litigieux, quel que soit le lieu du contentieux, quelle que soit la qualité du contribuable.
L’amélioration des textes fiscaux unifiés et clairs, replacés au centre de la procédure fiscale aura plusieurs effets positifs. La doctrine administrative serait moins utile, puisque la place de l’interprétation serait moindre. Nécessaires, les nombreuses positions de l’administration devront retrouver une place auxiliaire, en complément des règles codifiées. Ici comme ailleurs, les interprètes ne peuvent se substituer à l’orateur. La jurisprudence comme la doctrine administrative, outils de fluidification des rapports entre les acteurs du contentieux fiscal et éléments indispensables à la bonne application de la règle doivent conserver une place secondaire à la loi. Ce noyau commun, produit par les représentants de la Nation, participe à l’unité de la matière qui devra se recentrer à titre principal autour de deux Codes de référence : le Code général des impôts et le Code des procédures fiscales.
4 – Vous considérez que le dualisme dissuade parfois le contribuable de faire un contentieux. Le monisme sera-t-il de nature à réconcilier le contribuable et son juge ?
Dire que la complexité du droit fiscal est une entrave pour le contribuable relève de l’image d’Épinal. Si l’enrichissement du métissage des droits ne fait aucun doute, la clarté s’en est trouvée affectée. Ainsi, au-delà de l’enrichissement d’une discipline, le contribuable se retrouve face à un obstacle qu’il peut percevoir comme insurmontable. Le « millefeuille » des règles applicables au contentieux fiscal devient pour le contribuable, indigeste.
Il faut le reconnaitre, le litige fiscal est obscur pour le profane et les procédures complexes contribuent à cette perception. Parmi les justifications, le dualisme participe à entraver un contentieux sensible, subissant une phase administrative préalable et décourage potentiellement le contribuable de gravir la montagne du contentieux fiscal. Le contribuable comme tout justiciable veut connaître le juge compétent, être assuré d’être traité équitablement, avec impartialité et célérité. Cette complexité prive le contribuable d’une protection efficace de ses garanties en ce qu’elle peut le décourager et renoncer à saisir le juge par manque de clarté, par la longueur de la procédure, et finalement à l’inaccessibilité du « juge de l’impôt ».
Certes cette ambition nécessite une volonté, notamment politique, des moyens matériels et bien sûr une vision globale du litige ouvert entre l’administration fiscale et le contribuable. Cette réforme dépasse les limites du droit fiscal en incarnant une lutte contre le sentiment d’injustice et pour un renforcement des liens entre l’État et le citoyen. Le rapport à l’impôt et à son juge souvent perçu comme clivant, anxiogène, peut devenir un moyen de rapprochement. En ce sens, l’ambitieuse réforme devient adaptée, voire urgente. Le monisme vertueux rejaillira ainsi sur le rapport du citoyen à la Cité, renforcé par un juge rendant la justice au nom du peuple français.
Parce qu’il occupe une place centrale dans une démocratie qu’il permet de faire fonctionner, l’impôt peut être à la fois un instrument d’affirmation d’un sentiment national comme l’incarnation d’une fracture sociale, économique politique, clivant la cohésion populaire. Dans un contexte troublé par divers mouvements sociaux dont l’impôt est le fait générateur, il convient d’entreprendre des réformes pour réconcilier le citoyen avec la contribution commune et son juge. Rapprocher le contribuable du juge n’est pas qu’un projet de simplification d’une branche du droit, de modernisation d’une partie de la justice, au fond il relève d’une exigence démocratique.