Revue européenne et internationale de droit fiscal

Questions et réponses avec Frédéric Douet

Dans votre ouvrage « Fiscalité 2.0 Fiscalité du numérique » vous écrivez que « l’ère du numérique est aussi celle d’une nouvelle fiscalité, la « Fiscalité 2.0 » ». Cette fiscalité nouvelle est-elle à inventer ou suffit-il d’aménager les principes que nous connaissons ?

Le droit fiscal est un droit de superposition, c’est-à-dire un droit qui a vocation à s’appliquer à des situations déjà régies par d’autres branches du droit. Partant, le code général des impôts permet de traiter les questions soulevées par la fiscalité du numérique, notamment en matière d’impôt sur le revenu et d’impôt sur les sociétés. La difficulté est que les outils qu’il contient ont pour l’essentiel été forgés à une époque où le numérique n’existait pas. En résumé, ces outils existent mais la plupart du temps ils ne permettent pas de répondre de façon satisfaisante aux défis du numérique. Un travail de dépoussiérage du code général des impôts est nécessaire. Cette question est cruciale en termes d’attractivité fiscale de la France, et ce afin d’éviter que celle-ci ne devienne, à terme, une colonie numérique des GAFAM et des BATX. Même si je crains que cela ne soit déjà en partie le cas.

Vous consacrez de longs développements à la fiscalité de l’économie collaborative, qui est une économie du partage par des non professionnels, et dont les plates-formes en ligne sont les supports. Les dispositifs fiscaux actuels sont-ils adaptés pour saisir la matière imposable et la contrôler ?

La question de la fiscalité de l’économie collaborative illustre parfaitement ma précédente réponse. Pour l’essentiel, les problématiques fiscales relatives à l’économie collaborative se posent en matière d’impôt sur le revenu. Il est parfois déconcertant pour un internaute de découvrir que les revenus qu’il perçoit dans ce domaine constituent par exemple des bénéfices industriels et commerciaux, notamment en cas de location d’outils de bricolage, de location d’appartement meublé ou encore de covoiturage. Il est peu fréquent – sauf en cas de location meublé – que ces activités dégagent un résultat positif. Mais il n’en demeure pas moins que le fait de percevoir des bénéfices industriels et commerciaux oblige les contribuables à les déclarer. Or bon nombre d’entre eux pensent à tort qu’ils n’ont pas à le faire, s’exposant ainsi à une évaluation d’office. Cette idée est probablement due au fait qu’il s’agit d’une économie du partage et à un manque d’information. À cet égard, le législateur a mis à la charge des plateformes en ligne l’obligation d’informer leurs utilisateurs – lors de chaque transaction et par le biais d’un récapitulatif annuel – sur leurs obligations fiscales et sociales. À compter de l’imposition des revenus de l’année 2019, ces plateformes ont également une obligation annuelle de déclaration des revenus de leurs utilisateurs auprès de l’administration fiscale. Reste que le code général des impôts ne répond qu’imparfaitement à l’imposition des revenus de l’économie collaborative. Il s’agit à la fois de ne pas brider ce secteur et d’éviter une concurrence fiscale déloyale à l’égard des professionnels. L’économie collaborative existe depuis toujours – il suffit de penser aux affichettes collées chez les commerçants ou dans le hall des facultés – internet fait simplement office de caisse de résonance en démultipliant les possibilités d’être vu, y compris par les services fiscaux. Ceux-ci l’ont bien compris en acceptant de faire échapper à l’impôt sur le revenu les revenus issus du partage de prestations de services entre particuliers – encore appelé coconsommation –, que ces prestations soient ou non réalisées par l’intermédiaire de plateformes Internet.

En quoi la fiscalité des monnaies virtuelles est-elle un enjeu pour aujourd’hui mais aussi et surtout pour demain ?

Les monnaies virtuelles – dont la plus connue est le Bitcoin, mais il en existe environ 1 500 – soulèvent plusieurs questions en matière fiscale. Il s’agit des modalités d’imposition des revenus du minage, de leur cession à titre onéreux, de leur transmission à titre gratuit, de leur sort en matière de TVA ou, encore, de leur échange contre des jetons dans le cadre des Initial Coin Offerings (ICOs). Si les monnaies virtuelles se développent davantage, leur fiscalité ne doit pas être un frein. À défaut la France serait à contre-courant d’une évolution inéluctable. Là encore il s’agit de trouver un équilibre entre une fiscalité dissuasive et un no man’s land fiscal. Le législateur commence à s’intéresser à la fiscalité des monnaies virtuelles. La loi de finances pour 2019 vient de s’efforcer d’apporter une réponse à la question de la taxation des cessions occasionnelles d’actifs numériques par les particuliers.

Apple en Irlande, Amazon au Luxembourg, Google aux Bermudes …. La France défend l’idée de l’instauration d’une taxe européenne sur les profits des GAFA. On parle parfois d’une idée, qui semble progresser, celle d’instaurer un taux minimum mondial d’imposition des profits des entreprises du numérique. Cette perspective vous semble-t-elle réalisable ?

Fiscalement tout est toujours réalisable. Mais il y a un pas à franchir entre la théorie et la pratique. Pour séduisante qu’elle soit, l’idée d’une taxe sur les GAFAM soulève des difficultés techniques (détermination de l’assiette, localisation des utilisateurs, …). De plus, son coût risque d’être répercuté sur les contribuables, il faudrait renégocier les conventions fiscales internationales, la règle est celle de l’unanimité au niveau européen en matière de fiscalité directe, … Nous vivons dans un monde ouvert. La France donne l’impression de vouloir imposer les GAFAM afin de masquer son retard en matière de numérique et d’intelligence artificielle. À l’heure où la Région Île-de-France parle d’investir 20 millions d’euros par an dans l’espoir de faire de Paris la capitale mondiale de l’intelligence artificielle, le Massachusetts Institue of Technology (MIT), à lui seul, investit un milliard de dollars dans une école dédiée à l’intelligence artificielle… Surtout, les GAFAM ne sont pas seuls au monde. Ils ont derrière eux les États-Unis dont ils sont le fer de lance de leur économie et de leur système de renseignement. Pour mémoire, Amazon détient 44 % des data centers dans le monde. En 2030 les GAFAM et les BATX devraient détenir 60 % des data mondiales. Une taxe GAFAM, surtout si la France fait cavalier seul, risque donc d’entraîner des mesures de rétorsions.

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