Regards croisés sur les moyens de lutte contre la fraude fiscale
L’idée de la création d’une « police fiscale » à compétence judiciaire n’est pas nouvelle. La crise financière de 2008 et une mobilisation internationale sans précédent pour lutter contre les paradis fiscaux ont donné l’occasion en France d’instaurer une police fiscale dotée de moyens d’investigations similaires à ceux de la police judiciaire. La troisième loi de finances rectificative pour 2009 a mis en place un dispositif conférant des pouvoirs de police judiciaire à des agents de l’administration fiscale. Elle crée ainsi une police thématique, la Brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF) à vocation essentiellement fiscale pour rechercher et constater les infractions prévues par les articles 1741 et 1743 du Code général des impôts. De nombreux pays ont octroyé à leur administration fiscale une compétence de police judiciaire dont la mise en œuvre varie en fonction de l’organisation du système pénal et fiscal. La police fiscale peut prendre la forme soit d’une administration autonome aux moyens puissants et aux missions extrêmement variées comme en Italie avec la « Guardia di Finanza », soit de services dédiés au sein de l’administration fiscale comme en Allemagne, aux Etats-Unis ou aux Pays-Bas, ou encore d’agents placés auprès de structures spécialisées comme en Belgique. Avec l’attribution de certains pouvoirs de police judiciaire à des fonctionnaires de la Direction générale des finances publiques (DGFiP), la France vient de mettre en place des agents du fisc, ni officiers, ni agents de police judiciaire, mais spécialement habilités à être judiciairement commis. Ce texte ne constitue pas un modèle de clarté face aux risques de confusion des actes menés par des agents du fisc et susceptibles d’être exploités dans le cadre des procédures de contrôle fiscal. Cependant, il tend à accroître les moyens humains des magistrats pour mener à bien leurs investigations dans des domaines nécessitant des compétences techniques dans les méandres souvent ardus du droit comptable et du droit fiscal.
Une procédure d’enquête judiciaire menée par des agents des services fiscaux habilités et dirigés par le parquet a donc finalement été mise en place, pour les cas de fraude fiscale recourant à l’utilisation de faux ou de comptes détenus directement ou indirectement dans des Etats non coopératifs (« paradis fiscaux »). Il s’agit d’une police thématique relative à des enquêtes essentiellement dédiées à la fraude fiscale, dont le dispositif peut paraître limité dans sa portée pratique. En revanche, ce nouveau dispositif adapte corrélativement les règles du contrôle fiscal, notamment le régime de prescription du droit de reprise de l’administration fiscale, faisant ainsi de cette nouvelle procédure une arme redoutable du contrôle fiscal.
A la différence de certains Etats comparables (Etats-Unis, Allemagne, Italie notamment), les agents de l’administration fiscale n’étaient pas jusque là dotés de prérogatives de police judiciaire. Quelle est la lisibilité d’un tel dispositif au regard des opérations de contrôle fiscal ? N’aurait-il pas fallu commencer par regarder ce qui se passe à l’étranger et faire un bilan approfondi de la pénalisation de la fraude fiscale ? Faut-il que le ministère du budget conserve le monopole des poursuites pour la fraude fiscale afin d’éviter notamment les critiques relatives aux arrangements opaques contraires au principe d’égalité devant l’impôt ? Le durcissement de la répression de la fraude fiscale, avec des méthodes d’enquête inspirées de la lutte contre le terrorisme ne porte-t-il pas atteinte aux droits du contribuable vérifié ? Les procédures dérogatoires récentes de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales sont-elles attentatoires aux libertés ?
Placé sous l’égide de 2ISF et du LEJEP de l’université de Cergy-Pontoise, cet axe de recherche consacré à la pénalisation de la fraude fiscale et plus particulièrement à l’instauration d’une police judiciaire fiscale, sera l’occasion lors de ce colloque international d’analyser le délicat équilibre entre les différents systèmes de lutte contre la fraude et l’évasion fiscale et les droits du contribuable vérifié.
Ce projet, qui fera l’objet d’un colloque international le 20 mars 2015, est placé sous la responsabilité scientifique de Christian Lopez, Maître de conférences – HDR à l’université de Cergy – Pontoise.
Contact: christian-lopez@club-internet.fr