Jean-Luc Albert
Professeur Aix-Marseille Université
Directeur-adjoint du Centre d’études fiscales et financières (CEFF)
Responsable du DESU « Droit douanier et procédures douanières »
Le droit douanier de l’Union européenne
Bruylant, coll. Droit de l’Union européenne, 2019, 630 pages.
Comment parler de droit douanier de l’Union européenne dans le cadre d’un grand marché réputé sans frontières ?
C’est un lieu convenu que de penser qu’il existe un grand marché mondial ; c’est une erreur y compris sur le plan douanier ; en réalité, s‘il existe une véritable « standardisation » du droit douanier en particulier dans le domaine de la classification des marchandises, si différents accords multilatéraux ont été conclus comme récemment l’accord sur la Facilitation des Echanges, il n’existe pas de réel marché mondial ouvert permettant sans contrainte la libre circulation des biens. Les entités concernées continuent à avoir des pratiques tarifaires différenciées parfois de façon significative, à développer une lecture particulière de l’origine, à avoir des politiques régionales (unions douanières, zones de libre échange) à enrichir des politiques spécifiques (tarifaires, non tarifaires, préférentielles, …). Dans ce cadre, l’Union douanière européenne qui est à la base de la construction du système sur lequel repose l’Union européenne relève des accords commerciaux régionaux (ACR) et se trouve être l’illustration d’un système très intégré, propre à un territoire douanier, celui de l’Union européenne.
Le BREXIT connait différentes variantes. Quelles seraient les conséquences douanières pour chacune de ces variantes ?
Le Brexit, avec ou sans accord, aura des conséquences qui dépassent très largement le seul domaine du commerce des biens, par exemple en matière bancaire, de circulation des travailleurs, etc., et ce nonobstant la question irlandaise. La conséquence première est d’ores et déjà un tassement des échanges, des investissements directs, et à terme l’introduction sans doute de tarifs douaniers là où il n’y en avait pas mais aussi et surtout de nouvelles procédures déclaratives, de contrôle… bref un surcoût inévitable pour les opérateurs.
Ont été évoquées plusieurs solutions écartées successivement par les britanniques : une union douanière entre les deux espaces (Royaume-Uni, et Union européenne) comme entre l’Union européenne et la Turquie, des accords de libre échange modèle Suisse, Ukraine, EEE… .A ce jour, il semblerait que les britanniques aient une préférence pour le modèle CETA qui doit lier le Canada et l’Union européenne, ce qui conduirait à de très faibles droits voire une absence de droits de douane pour une grande majorité de biens, mais ne mettrait pas fin aux obligations déclaratives et au contrôle douanier, l’avantage étant aussi qu’il existerait une « juridiction » spécifique pour trancher les litiges dans l’application de cet accord.
En tout état de cause, il faut se rappeler que pour les opérateurs économiques, la « douane » est d’abord une charge dont il faut réduire le coût.
Comment s’articule le droit douanier européen avec le cadre douanier mondialisé qui s’impose ?
L’union douanière européenne reprend avec des adaptations dans ses dispositifs juridiques l’essentiel des dispositifs existants et en particulier le Système harmonisé de l’OMD, tout en ayant adhéré à l’ensemble des accords multilatéraux du GATT/OMC comme l’Accord sur la Facilitation des Echanges. En ce sens, l’Union européenne se veut une sorte de « fer de lance » de l’ouverture des marchés et de la facilitation des échanges. En outre, l’Union européenne a intégré les différentes organisations internationales concernées comme l’OMD.
Qu’est ce qui semble caractériser le contrôle douanier qui fait du droit pénal une arme redoutable ?
Le droit pénal douanier n’est pas harmonisé sur le plan européen ; il en résulte encore aujourd’hui une forme de « concurrence » entre Etats membres dans le degré de répression en matière d’infractions, de délits douaniers. A cet égard, le droit pénal douanier français est « réputé » pour sa sévérité par rapport aux pratiques d’autres Etats membres, ce qui a d’ailleurs pu conduire par le passé Claude J. Berr à demander la suppression du Code français des douanes. Il ne faut cependant pas oublier que la résolution de la grande majorité des litiges douaniers s’opère en France par le biais de la transaction.
Vous concluez votre ouvrage en considérant que le droit douanier est « fragile, inabouti, et réversible, comme l’Union européenne ». Qu’est ce qui vous conduit à ce constat et que conviendrait-il de faire pour sortir de cette tendance ?
L’union douanière européenne revêt une dimension très intégrée sur le plan juridique mais comporte encore de nombreuses limites : pas d’administration douanière européenne mais des administrations nationales, un rôle important de l’échelon national dans la mise en œuvre de la norme européenne, pas d’harmonisation européenne dans les régimes répressifs… Il faudra bien un jour s’interroger sur les raisons du départ des britanniques de cet espace européen où ils bénéficiaient pourtant d’un statut presque « à la carte ». Cette réflexion sur soi-même n’a pas été opérée par les responsables européens. N’y-a-t-il pas lieu aussi de s’interroger sur les fondamentaux de la politique douanière de l’Union européenne en regard des pratiques d’autres puissances économiques. L’Union douanière européenne est à la base de l’identité juridique européenne en tant que compétence exclusive, à l’instar de la politique commerciale. Mais quel en est l’objectif des attentes des citoyens de l’Union européenne ? S’agit-il des objectifs énoncés dans les années « 50 » et d’en assurer la conservation ou faut-il revoir de façon beaucoup plus fondamentale le sens de la construction économique et douanière de l’Union européenne tout en intégrant des préoccupations comme la place des PME et non seulement des entreprises transnationales, la prise en compte des préoccupations environnementales, la concurrence sociale, la protection de la propriété intellectuelle…, la place des mesures non tarifaires ? A défaut d’une telle réflexion voire mutation sur et autour de cette union, sa contestation pourrait certainement conduire, à l’instar de ce qui se passe dans d’autres puissances économiques, à contester l’intérêt du multilatéralisme et des grands choix opérés depuis plus de cinquante ans en matière de commerce international