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Jean-Luc ALBERT
Professeur des universités
Aix-Marseille Université
Centre d’études fiscales et financières (UR 891)
La Douane, dans sa dimension moderne et contemporaine, trouve ses origines aux débuts de la révolution française avec la création, le 23 avril 1791, de la régie nationale des douanes.
Cette administration a connu dans le temps quelques vicissitudes administratives car le débat administratif a longtemps porté sur l’unification de deux administrations fiscales, à savoir celle de la douane et celle contributions indirectes.
En ce sens, entre 1851 et 1869 avait existé une Direction générale des douanes et des contributions indirectes, unification qui devait échouer car « contrariée par de nombreuses difficultés d’exécution », les deux administrations ayant été plus juxtaposées que fusionnées (Répertoire générale alphabétique du droit français, XIV, 1895, p.684, Contributions indirectes).
Créée, finalement, en 1948 avec la fusion de la Direction générale de la Douane et de la Direction générale des contributions indirectes (décret du 8 décembre 1948), la « petite » Douane, autrement dénommée jusqu’à ce jour Direction générale des Douanes et des droits indirects (DGDDI), avait gagné ses « galons » d’administration fiscale, aux côtés de la Direction générale des impôts elle-même créé en 1948.
Elle s’est trouvée renforcée très progressivement voire parfois ponctuellement au fil du temps par des attributions, notamment fiscales complémentaires, à telle enseigne que, alors même que en 2008 elle assistait à la fusion de la Direction générale des impôts et de la Direction générale de la comptabilité publique (DGCP) pour donner naissance à la Direction générale des Finances publiques (DGFiP), ses responsables et agents pouvaient penser que la Douane serait préservée d’une possible évolution structurelle administrative mettant en cause sinon son existence du moins une partie de ses missions.
Funeste tranquillité, pour quel destin administratif désormais ? La question mérite d’être posée.
La Douane française avait pris, même avec peu d’effectifs (puisque passant de 20 000 à moins de 17 000 agents), une certaine dimension sur le plan fiscal (mais aussi sécuritaire).
Ainsi en 2017, pouvait-elle afficher une réelle performance administrative fondée sur des coûts de collecte particulièrement réduits en se confrontant, au moins implicitement avec la DGFiP.
Elle se voulait administration de la fiscalité environnementale et énergétique, des accises, de la TVA à l’importation, des droits de douane, et de nombreuses taxes spécifiques (comme l’octroi de mer) tant au profit de l’Union européenne, que de l’Etat, des collectivités locales, … pour un volume de collecte significatif, la Cour des comptes chiffrant celle-ci à 76 milliards d’euros en 2016.
Or, si la Douane soulignait son efficacité dans le recouvrement des droits concernés et revendiquait un coût restreint, la Cour des comptes affirmait à l’inverse que les missions fiscales de la Douane étaient d’un coût trop élevé et qu’il fallait, en conséquence, aller vers une modernisation et une simplification de la collecte des impôts et taxes.
I – Une réforme gestionnaire
La « petite » Douane a négligé un double mouvement : celui de la réduction des coûts administratifs par la fusion des administrations, celui de l’interlocuteur « fiscal » unique destiné à, complémentairement au premier mouvement, simplifier le paysage administratif.
Disons-le clairement, cette double tendance voulue sur le plan national est allée à l’encontre du renforcement de la Douane, alors même que celle-ci perdait à partir du début des années « 2000 » une partie de ses effectifs, sous la pression de de la « pseudo théorie » économique de la Nouvelle gestion publique (new public managment) inspirée des modèles anglo-saxons et qui va irriguer la culture administrative et gestionnaire de la haute fonction publique en France.
Dans cette optique, Action publique 2022 qui s’inscrit en tant que mouvement de modernisation de nos administrations voulu la présidence Macron (Voir le portail de la transformation de l’action publique) s’inscrit dans ce mouvement initié depuis le milieu des années « 1990 » en visant à regrouper les organisations de recouvrement des prélèvements obligatoires.
Ainsi, dans le cadre du plan de transformation ministériels présenté le 29 octobre 2018 au titre du ministère de l’économie et des finances, était annoncé l’objectif d’« Aller vers une agence unique de recouvrement des prélèvements sur les entreprises » (proposition n°15).
En réalité cette démarche s’inscrivait dans un ensemble divers de travaux (antérieurs à 2017) et rapports mettant l’accent sur la nécessaire réorganisation et réorientation des activités de la Douane dont le dernier « avatar » plus récent, et pas des moindres, est le rapport publié par la Cour des comptes cette année et qui est le fruit de rapports plus spécialisés rendus ces dernières années ; ce rapport thématique se veut un rapport final sur cette administration et a comme intitulé « La Direction générale des douanes et droits indirects » Exercices 2013-2019 Un recentrage nécessaire (sept. 2020, 146p.).
On peut ainsi noter que la Douane est enserrée depuis un certain nombre d’années dans des stratégies gestionnaires qui conduisent à son absorption, stratégies plus spécifiquement identifiables en matière fiscale dans les lois de finances de la présidence Macron, pour 2018, 2019, 2020 et même 2021.
L’extrait qui suit nous vient du projet annuel de performance (PAP, p.3) du programme n°302 Facilitation et sécurisation des échanges du projet de loi de finances pour 2018 :
« Enfin, le programme contribuera en 2018 au rétablissement de nos comptes publics grâce à un dispositif sécurisé et efficient de collecte des recettes confiées à la douane : 76 Mds € en 2016 pour un coût qui sera abaissé à 40 centimes pour 100 euros collectés malgré la poursuite du transfert à la direction générale des finances publiques de la partie de la taxe sur la valeur ajoutée qui est autoliquidée à l’importation.
La douane mènera en 2018 et dans les années suivantes ses missions en adaptant son organisation aux services qu’elle rend aux citoyens et à l’économie. Elle mettra à profit les gains de productivité tirés de la modernisation de ses processus, notamment fiscaux, de la dématérialisation de ses procédures et de l’ajustement de son réseau comptable, le budget 2018 prévoyant ainsi une économie de 50 emplois à ce titre » !!.
Ainsi, sur amendement gouvernemental, et alors même que la Cour des comptes n’allait pas aussi loin, le projet de loi de finances pour 2021 paraît parachever à marche forcée ce processus administratif dans un contexte évitant l’essentiel de la contestation ; en effet, le plf comporte un dispositif transférant à la DGFiP une compétence financière essentielle s’agissant de la taxe intérieure sur la consommation des produits énergétiques (TICPE).
Transfert de la TGAP, transfert du recouvrement de la TVA à l’importation dans le cadre de l’auto-liquidation, mais aussi de petites taxes (boissons, …), soit onze prélèvements sur quatorze, voire suppression aussi d’autres petites taxes, le transfert de la TICPE, n’était pas prévu dans le projet de loi de finances 2021, et fut annoncé le 21 octobre 2021 par le ministre délégué des comptes publics M. Olivier Dussopt au nom d’une volonté de « choc de simplification des impôts », réduisant ainsi à peu de choses la compétence fiscale de la Douane.
Il est vrai que cette réforme accélérée était promue dans un rapport interministériel présenté par M. Alexandre Gardette (administrateur des finances publiques), à l’horizon 2024, rapport portant sur La réforme du recouvrement fiscal et social (juillet 2019) qui ne prévoyait pas non plus, semble-t-il, le transfert de la TICPE.
Ce rapport promouvait, à défaut de faire état d’une fusion, la convergence du recouvrement des impôts entre la DGFiP et de la DGDDI.
Il est vrai que le même auteur avait rédigé en 2018 dans le prolongement des travaux d’Action publique 2022, un autre rapport sur la simplification du recouvrement fiscal et social, tout cela dans le but de créer, à terme, une agence unique du recouvrement
II – Une réforme inaboutie
La DGFiP a eu à subir depuis plus de dix ans des coupes claires dans ses effectifs. La Douane a connu le même sort.
La fusion ou plutôt la modernisation du recouvrement de l’ensemble des impôts et taxes peut-elle contrecarrer les pertes humaines notamment en termes de contrôle fiscal.
C’est en tout cas cet objectif que prônait la Cour des comptes dès 2014 dans son rapport sur les missions fiscales de la Douane : un rôle et une organisation à repenser (février 2014).
Osera-t-on ici rappeler que la fusion de la DGI et de la DGCP s’était faite dans le cadre d’un engagement, qui comme tous les engagements ne lient que ceux qui les écoutent, à savoir la préservation du périmètre (en moyens humains) du contrôle fiscal ?
Cet engagement ne fut pas tenu, son non-respect reposant sur une vision technologique du contrôle fiscal et passant par le croisement des fichiers fiscaux et sociaux, le contrôle automatisé des déclarations, les algorithmes remplaçant avec « efficacité » les personnels, du moins était-ce l’idée dominante si ce n’est « l’idéologie gestionnaire dominante ».
Au-delà des transferts de compétences fiscales, le rapprochement DGFiP-DGDDI est apparu dans le cadre de divers mouvements administratifs comme la création du Service à compétence nationale dénommé « service d’enquêtes judiciaires des finances » en 2019 (décret du 16 mai 2019), le rapprochement des services comptables de la DGFiP et de la DGDDI, la création en 2017 de l’aviseur fiscal sur le modèle de l’aviseur des douanes, coopération renforcée des deux administrations s’agissant du régime 42 en matière de TVA, le développement des mécanismes de transaction, conclusion en 2011 d’une convention de coopération entre la DGFiP et la Douane en matière de lutte contre la fraude fiscale et douanière, il est vrai que la Douane de son côté avait quelque peu copié l’administration fiscale en publiant sa charte des contrôles douaniers mais en aussi en matière d’accises à l’instar de la charte du contribuable vérifié…
Plus parlante encore est la création en 2019 de la mission interministérielle « France recouvrement » (décret du 10 septembre 2019) prévue pour une durée de trois années et dont l’objectif, sous l’autorité des ministres chargés du budget et de la sécurité sociale, est de piloter l’unification du recouvrement dans la sphère fiscale et dans la sphère sociale en liaison avec la direction de la sécurité sociale et de la DGFiP, la Douane étant oubliée (au moins explicitement) dans l’énoncé du décret.
Mais tout cela constitue-t-il un processus finalisé si d’autres dimensions ne sont pas envisagées ?
Unifier au sein de la DGFiP l’ensemble des services chargés du recouvrement des impôts et taxes en excluant les droits de douane qui resteraient un élément mineur de la compétence douanière, cette dernière devant alors une police économique et des frontières sur le modèle américain, suffit-il à constituer un « choc de simplification » ?
On peut sans doute répondre par la négative.
Ce n’est pas en déplaçant les services que l’on modifiera fondamentalement les relations entre le contribuable et l’administration fiscale.
En fait, ce qui évolue c’est la fiscalité nationale et en particulier la fiscalité douanière.
Les droits de douane restent régis par les règles européennes et nationales (CDU et CD).
Ne serait-il pas temps alors d’aller plus avant sur deux points :
- D’une part, la révision de systèmes de sanction dans une réelle démarche comparative avec les législations des autres Etats membres de l’Union européenne afin d’éviter un « tourisme » fiscal fondé sur la concurrence entre les normes répressives (V. Eric Carpano, Manuel Chastagnaret, Emmauelle Mazuyer, La concurrence réglementaire, sociale et fiscale dans l’Union européenne, Larcier, 2016), en évitant les discours erronés des autorités nationales sur des harmonisations qui n’ont toujours pas lieu,
- D’autre part, une réforme unificatrice des procédures fiscales dans une souci de simplification et de sécurisation des contrôles, des procédures, de la collecte des prélèvements, réforme envisageable tant les procédures paraissent souvent assez proches si ce n’est similaires ?
Restera, bien sûr, encore et toujours non résolue la question de la compétence juridictionnelle, à défaut d’un juge unique de l’impôt ou d’un juge spécialisé.