Associé, Leax Avocat (Neuchâtel)
Head of Tax Department, Momentum Attorneys & Advisors (Kinshasa)
1 – Les modèles et standards proposés par le comité fiscal de l’ONU vous semblent-ils adaptés à l’Afrique subsaharienne francophone ?
Oui. Les instruments de fiscalité proposés par les Nations Unies sont, comparativement à ceux d’autres organisations comme l’OCDE, assez congruents aux réalités économiques des pays en développement, en particulier l’Afrique. A titre d’illustration, le modèle de convention fiscale des Nations Unies est très prisé par les pays africains exportateurs des matières premières, dans la mesure où il impose moins de restrictions sur les droits d’imposition de l’État de la source, celui-ci disposant davantage de droits par rapport à l’État de la résidence. Les conventions de double imposition sont cependant encore très peu étudiées et peu appliquées dans les pays africains. En outre, la plupart mériterait une actualisation pour les remettre aux standards internationaux, en particulier en matière d’échange de renseignement ou de dispositions concernant l’évasion fiscale.
2 – Les systèmes fiscaux des différents pays sont-ils de nature à favoriser l’investissement ?
Plusieurs systèmes fiscaux africains ont mis en place des régimes d’imposition exceptionnels destinés à encourager l’investissement (tel étant le cas de la fiscalité sur les zones économiques spéciales ou des dispositions fiscales contenues dans les codes des investissements), mais il existe en pratique des lourdeurs administratives et des chevauchements de compétences de prélever l’impôt de nature à ne pas favoriser un climat propice à l’investissement. Les systèmes en place permettent encore trop souvent à des agents économiques de s’adonner à la fraude fiscale par exemple en obtenant des exemptions et exonérations fiscales alors qu’ils n’y sont pas éligibles, avec pour conséquence de fausser le jeu de la concurrence. Dans la plupart des pays sous revue, nous avons aussi constaté une multitude impressionnante de prélèvements publics obligatoires, entravant le bon déroulement de l’économie.
3 – Les 15 actions BEPS (« base erosion and profit Shifting ») de l’OCDE s’inscrivent-elles dans les politiques fiscales des pays d’Afrique subsaharienne francophone ?
En principe, le Plan BEPS de l’OCDE ne devrait pas impacter les systèmes fiscaux des pays en développement de la même manière que ceux des économies avancées. Dès lors, les actions du Plan BEPS retenues comme des standards minimums (Actions 5, 6, 13 et 14) ne le sont pas forcément pour les pays en développement, ces derniers faisant face à des difficultés ou contraintes spécifiques parfois déjà surmontées par les économies avancées.
Les pays africains francophones en particulier ont, en matière fiscale, d’autres priorités, défis et besoins non couverts par le Plan BEPS, mais substantiellement liés à l’évasion fiscale. Cela porte à croire que le Plan BEPS n’a pas apporté de réponses complètes aux problèmes auxquels les pays africains concernés sont confrontés. Parmi les défis de ces derniers, figure notamment le cas des incitants fiscaux (exonérations, exemptions et immunités fiscales), qui s’avèrent souvent des dépenses fiscales contre-productives à cause de la mauvaise gouvernance dans ces pays. Il en est de même de la fiscalité des ressources naturelles qui présente des défis singuliers par rapport au Plan BEPS.
Voilà pourquoi, dans la mesure où ces préoccupations se recoupent avec quelques Actions du Plan BEPS, elles font l’objet d’une assistance technique ad hoc au sein de l’OCDE, spécifiquement dans le cadre du programme « Fiscalité et Développement ».
4 – La lutte contre la fraude et l’évasion fiscales vous semble-elle efficace dans les pays d’Afrique subsaharienne francophone ?
D’emblée, il convient de préciser que, dans un rapport publié en 2018, la Commission Économique pour l’Afrique (Nations Unies) a estimé que l’Afrique perdrait en moyenne 50 milliards de dollars en flux financiers illégaux chaque année, et dont la moyenne sur la période allant de 2000 à 2015 était de 73 milliards, ce qui représente plus ou moins 5,7 % du PIB de la région, soit le taux le plus élevé au monde.
Ces chiffres indicatifs suffisent à eux seuls pour démontrer le niveau de priorité que revêt la nécessité de juguler l’évasion et la fraude fiscales dans les pays africains. Malheureusement, ces derniers ne sont pas dotés des outils adéquats à cette fin, de telle sorte que les pratiques de BEPS ont le vent en poupe.
Néanmoins, dans le cadre du Plan BEPS, plusieurs pays africains font partie du Cadre inclusif sur le BEPS, au sein duquel ils travaillent et collaborent sur un pied d’égalité avec les autres pays développés et en développement du globe en vue de juguler l’évasion et la fraude fiscales. Dans le contexte de la fiscalité numérique par exemple, la plupart des pays africains ont activement participé aux négociations, et la solution reposant sur les piliers 1 et 2 comporte un certain nombre de dispositions visant à répondre à leurs préoccupations, contribuant ainsi à une lutte efficace de l’évasion et la fraude fiscales.
Dans la même perspective, l’initiative Inspecteurs des Impôts Sans Frontières conjointement mise en œuvre par l’OCDE et les Nations Unies (PNUD) a permis de faire reculer l’évasion et la fraude fiscales goupillées par les sociétés multinationales, améliorant ainsi les recettes issues de l’imposition sur le bénéfice.